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De ces trois cathédrales sœurs, Chartres est l’aînée et le modèle. Le maître qui l’a construite est le grand initiateur. C’est lui qui a créé les formules de l’avenir et dégagé les conclusions que l’architecture après lui ne fera plus que développer. Son œuvre demeure l’école où vinrent s’instruire les maîtres de Reims et d’Amiens. Jusqu’à lui, par exemple, l’architecture gothique retenait dans ses formes quelque chose de trapu ; une certaine pesanteur l’arrêtait dans son vol, comprimait son essor ; le pilier reste court, surchargé d’une tribune qui contrarie l’élan, marque dans l’ascension générale un étage et une ombre inutiles. L’architecte de Chartres supprime cette tribune et la remplace par cette galerie qui ne compte plus qu’à peine comme un étage distinct et qu’on appelle triforium ; les piliers délivrés s’exhaussent, les nefs s’élèvent et se relient par un jeu de rapports plus clairs. Cette simplification imprime à l’édifice une vie nouvelle. Un grand mouvement vertical l’emporte vers le ciel. Les fenêtres s’agrandissent, doublent la surface des vitraux ; mille conséquence découlent de celle réforme si simple. On a défini l’art gothique une géométrie enflammée ; pourquoi ne pas reconnaître que le maître de Chartres fut un poète de génie ?

Ce divin plan de Chartres est celui qu’on retrouve désormais dans toutes nos cathédrales. Reims, Amiens, Beauvais, ne, seront plus que des variantes de ce thème immortel. Leurs auteurs ne chercheront qu’à faire sortir plus de beauté du mode d’expression qui vient d’être créé par leur grand précurseur.

L’histoire de Reims a été très bien démêlée par M. Louis Demaison. L’auteur du plan est Jean d’Orbais. Le chœur était achevé en 1241. Il n’y a rien dans l’art de supérieur à ce morceau. La colonnade semi-circulaire qui le termine, et qui se joue délicatement sur la perspective des chapelles, est d’une grâce et, si je puis dire, d’une « musique » accomplies ; la pureté des piliers, avec les couronnes de feuillage qui leur servent de chapiteaux, fait penser à l’évolution d’un double chœur de jeunes filles. L’élévation est charmante. La hauteur de la voûte est pourtant la même qu’à Chartres (38 mètres), mais la largeur est moindre, les formes deviennent plus élancées. Le dessin des voûtes a conduit l’artiste à donner à tous les autres arcs une brisure plus vive, à aiguiser tous ses tracés : la même pensée se réfracte à l’infini dans chaque forme, et toutes