Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(désignant son compagnon) est Cosaque. Moi, je suis Bolchevik. Comme son compagnon me donne le renseignement demandé, il l’interrompt pour me dire : que je suis à trois verstes de la stanitza. Mais le paysan continue :

— Votre Kornilof… qu’il soit maudit ! (Il crache par terre.) D’ailleurs on lui fera bientôt son affaire, à lui et à ses partisans. On vous tuera tous, jusqu’au dernier.

— Nous verrons bien… Je vous connais, tout étranger que je suis… Vous êtes très braves en paroles ; mais j’ai vu ce que vous savez faire en face des Allemands. Dès que vous les apercevez, vous vous sauvez comme des lapins.

— Les Allemands ? Ils ne nous font pas peur… Nous les chasserons, à coups de bâton… Nous n’avons pas besoin de fusils, nous autres… A coups de bâton !

— Tais-toi, moujik ! Tu as bu, moujik ! Tu bats la campagne.

Et le Cosaque de rire.

Je passe la nuit dans la chambre du colonel Gherchelman, ancien chef du régiment de cuirassiers de la garde, à Varsovie. C’est un esprit raffiné, curieux mélange de douceur slave et de décision occidentale. Il m’explique pourquoi on a dû abandonner Rostof. L’armée de volontaires ne pouvait envoyer en avant que des petits détachements. Ces postes avancés ne comptaient jamais plus de 300 hommes. Aucune attaque frontale n’a jamais pu avoir raison d’eux ; mais ils risquaient d’être enveloppés : la retraite s’imposait.


Chomoutofskaya, le 14/27 février.

Chemin faisant, notre division, cent cavaliers, deux sœurs de charité, dépasse le gros de l’infanterie. Kornilof marche à pied ; Alexeief, trop vieux et fatigué, est en voiture. Nous faisons le salut en passant. Partout des connaissances : voici un ancien membre de la Douma qui est cocher sur une voiture de viande. Il n’est tel de ces menus détails qui n’ajoute encore à la grandeur du spectacle vraiment unique que nous avons sous les yeux.

En déviant vers le Nord, notre division quitte la région des stanitzas et des riches villages, situés autour des grandes voies de communication du Don. Maintenant s’ouvre devant nous une plaine infinie, immense pelouse d’herbes courtes que recouvre une mince couche de neige.