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mitrailleurs, qui ne connaissent pas leurs instruments, ne sont pas capables de les réparer. Mais sans doute l’ennemi ne tiendra pas sous notre choc. Déjà le tir d’artillerie et même la fusillade se ralentissent…

Tout d’un coup, il me semble que je vois l’horizon se mouvoir. A notre droite, noire sur noir, une masse avance silencieusement. C’est un train qui glisse lentement sur les rails. Cinq plates-formes en avant pour le cas où la voie serait minée, des wagons blindés, encore deux plates-formes, et ensuite une interminable série de fourgons, évidemment pleins de soldats. Du premier wagon blindé, on tire sur nous, d’autant plus aisément que, nos silhouettes se détachant sur la neige, nous sommes parfaitement visibles : plusieurs des nôtres sont atteints. A cet instant, l’unique mitrailleuse qui nous reste cesse de fonctionner. J’y cours et vois les trois desservants couchés nonchalamment auprès d’elle.

— Qu’est-ce que vous f… là, N. de D. ?

— Celui-ci est blessé !

— Et toi, tu n’es pas blessé ! Pourquoi est-ce que tu ne tires pas ?

— Impossible d’ouvrir la boite de cartouches.

J’ouvre la boite avec une baïonnette, j’introduis la bande et commence à tirer sur l’ouverture du wagon d’où partent les coups. J’ordonne au mitrailleur de continuer, sachant que, même s’il les manque, à 40 mètres, les soldats maximalistes, par poltronnerie, cesseront le tir, dès que les balles frapperont de trop près la tôle de fer.

Je retourne ensuite auprès du capitaine Kornilof pour conférer avec lui. Nous continuons à perdre du monde. Quel parti prendre ? J’émets l’avis d’attaquer le train à tout prix :

— Le wagon blindé est ouvert par en haut. Nous en aurons raison avec quelques grenades à main et nous prendrons le train par surprise.

— Contre un train blindé, il n’y a rien à faire. C’est la retraite forcée.

— Nous perdrons bien plus de monde en nous retirant qu’en attaquant.

— C’est à peine si nous avons trois ou quatre grenades par section !

Ce dernier argument clôt la discussion. C’est vrai qu’il n’y