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ancienne et nos plus présentes, nos plus pressantes pensées, des correspondances mystérieuses et profondes se révélèrent. Le récitatif d’abord nous semblait retentir avec une autorité nouvelle, et nous promettre, à nous comme à nos ancêtres agenouillés autour de l’héroïne, « l’ora fatal che compia il gran decreto, l’heure fatidique où le grand décret s’accomplira. » Puis, au-dessus des accords perlant comme des gouttes de lumière, se déroulait la mélancolique et tendre oraison. « Chaste déesse, toi qui de ta lueur argentés ces forêts antiques et saintes, répands, répands sur la terre la paix que tu fais régner dans le ciel. » Pas un de ces mots, pas une de ces notes, qui ne nous frappât au cœur. Et, de tout notre cœur aussi, nous unissant à la cantilène immortelle, nous pleurions sur nos forêts antiques et saintes, que n’argentera plus la lueur de la lune, et nous souhaitions que régnât enfin, sur la terre comme au ciel de France, délivrés l’un et l’autre, la paix que depuis si longtemps leurs nuits mêmes ne connaissent plus.

« Humanum paucis vivit genus. » On a parfois envie de transposer le vieil adage dans l’ordre esthétique, et de le traduire, — à contresens peut-être, ou tout au moins par à peu près, — ainsi : « Une œuvre humaine, pour vivre, n’a besoin que d’un petit nombre d’éléments, ou de beautés. » Rappelons-nous Musset encore, disant de Raphaël :


Et pour que le néant ne touche point à lui,
C’est assez d’un enfant sur sa mère endormi.


Raphaël assurément a fait bien davantage. Et surtout il s’en faut que Bellini soit Raphaël. Mais, pour sauver du néant l’œuvre du musicien de Sicile, quelle qu’en soit, par moments, la faiblesse ou la misère même, c’est assez qu’il ait dessiné par les sons deux ou trois figures de femme. Autant que des symphonies, il est des mélodies où peut tenir, en quelques lignes de chant, un infini de beauté.


CAMILLE BELLAIGUE.