Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/936

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remarque à bon droit que l’un et l’autre caractères pourraient servir à distinguer la mélodie d’un Bellini de celle d’un Verdi. « Verdi, sans aucun doute, est un grand lyrique ; mais dans ses moments de plus grand emportement, d’exaltation et d’enthousiasme, il garde toujours le contact sensible avec l’objet de son enthousiasme, c’est-à-dire avec les acteurs du drame, avec les circonstances de leurs actions. Dans les cas analogues à celui qui nous occupe » (dernière scène de Norma), « Verdi compose son expression musicale de plusieurs chants associés ou alternés (rappelez-vous l’admirable trio final du Trovatore, ou le quatuor de Rigoletto). Bellini crée un seul chant, très ample, presque sans fin, mais unique. » Nombreux peuvent être les personnages, et divers leurs sentiments, le musicien « n’en exprime isolément aucun ; il les réunit et les fond ensemble dans une expression supérieure d’humanité infinie. »

Comment quitter Bellini sans rappeler, fidèle à l’admiration, à l’émotion qu’elle causera toujours, la plus fameuse peut-être et peut-être aussi la plus belle de ses mélodies ! Rien qu’à s’en souvenir, on comprend qu’un compatriote du maître écrive, ou s’écrie : « et maintenant relisons la Casta diva ; relisons-la pour notre pure joie spirituelle et pour notre orgueil sacré d’Italiens. » La scène est présente à toutes les mémoires. Norma vient de paraître. Ses prêtresses l’entourent. Les cheveux dénoués, le front couronné de verveine, elle tient de la main droite une faucille d’or. Après avoir reproché durement à son peuple, à ses prêtres, leurs cris séditieux, leurs appels, encore prématurés, à la révolte contre le joug romain, elle leur commande le calme, la paix et l’attente de l’heure prochaine, qui décidera de leur liberté. Fuis, à la clarté de la lune, elle accomplit les rites sacrés et cueille le gui.

Son commandement déjà, rien que son commandement, courte formule mélodique plutôt que mélodie, est admirable d’impérieuse noblesse. La modulation qui le transforme en prière n’a pas moins de beauté. Il suffit de trois accords, arpégés et descendants, véritablement baignés de l’ « obscure clarté, » pour créer une atmosphère nouvelle. Dans cette atmosphère d’argent, à deux reprises, modulée par une flûte d’abord, puis par la voix d’une femme, s’élève la plus ample, la plus pure, la plus auguste de toutes les cantilènes qui jamais aient monté vers la « chaste déesse, » la lune, pour l’appeler par son nom. Et tous les autres noms, les plus beaux, qu’a pu lui prodiguer la poésie antique ou moderne, et la prose même, celle d’un Chateaubriand, par exemple ; et les paysages sans nombre,