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Bellini même est un de mes favoris, parce que sa musique est tout cœur, profondément sentie et liée étroitement aux paroles. »

Du temps qu’il était chef d’orchestre au théâtre de Riga, vers 1838, si notre mémoire est fidèle, Wagner annonçait en ces termes la mise au répertoire de Norma : « Le soussigné ne croit pouvoir mieux prouver son estime pour le public de cette ville, qu’en lui offrant la Norma. Cet opéra, parmi toutes les créations de Bellini, est celui qui joint à la veine mélodique la plus riche, la plus profonde réalité et la passion la plus intime. Tous les adversaires de la musique italienne rendront justice à cette grande partition en disant qu’elle parle au cœur et qu’elle est une œuvre de génie. C’est pourquoi j’invite le public à venir en grand nombre l’écouter. »

Observons d’abord que la beauté mélodique, la beauté véritablement, « humainement » chantante, peut se rencontrer et se trouve en effet ailleurs que dans un air, dans une période ou dans une phrase régulière de Bellini. Le récitatif même est fort loin d’en être toujours dépourvu. Il s’en faut alors qu’il ressemble à ce recitativo secco que trop souvent on affecte de prendre pour le type unique du récitatif italien. Alors le nerf et le relief rythmique, la variété, l’indépendance du mètre et du nombre, la richesse et l’efficacité des modulations, la justesse de l’accent et jusqu’à l’effet des silences mêmes, tout cela concourt à donner au récitatif le double caractère oratoire et musical, la valeur expressive, et la puissance d’émotion humaine où se reconnaît le canto puro. Pour s’en convaincre, c’est assez de lire, à la fin de l’un des opéras les plus faibles de Bellini, le récitatif de Roméo devant le tombeau de Juliette. Il y a là, dans la forme la plus libre, la plus diverse, partant la plus opposée à celle de l’aria, deux ou trois pages qui, par la force et la sincérité du sentiment, fût-ce par la vertu de certains mots, que dis-je ? d’un seul nom : Giulietta ! ne sont pas très inférieures aux plaintes d’Orphée appelant et rappelant sans cesse : « Eurydice ! Eurydice ! »

Autre exemple, — excellemment analysé par notre confrère italien, — du même style et de la même beauté : l’introduction et la première scène du second acte de Norma, quand la prêtresse, résolue, comme une autre Médée, au meurtre de ses enfants, s’approche, le poignard à ! a main, du lit où ils dorment. En ce passage, admirable de plus d’une manière, le récitatif, la mélodie vocale, l’orchestre et parfois jusqu’au silence, non moins éloquent que les sons, tout est expressif, tout est humain, tout est chant. Mais ici, de tant d’éléments sonores, c’est le récitatif qui l’emporte. Ainsi chantera,