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REVUE MUSICALE

HOMMAGE À BELLINI
D’APRÈS UN LIVRE RÉCENT

« Bellini tombe et meurt… » soupira naguère Alfred de Musset. Mais son œuvre mérite de ne pas tomber et mourir tout entier. Voilà quelque vingt-cinq ans, il nous est arrivé de parler sévèrement du « cygne de Catane, » ainsi qu’on disait naguère. Que son ombre mélodieuse nous pardonne. Un de nos confrères italiens, M. Ildebrando Pizzetti, vient de traiter avec plus de faveur, et, nous le reconnaissons aujourd’hui, avec plus de justice, le musicien de Norma, de la Somnambule et des Puritains[1].

Un grand maître vénitien du XVIIIe siècle, Marcello, définissait ainsi le triple idéal de la musique : « appagare l’orecchio, muovere il core, ricreare lo spirito. » De ces trois fins esthétiques, il semble bien que la musique de Bellini ait trop négligé la dernière : le plaisir de l’esprit. C’est à l’oreille et c’est au cœur, beaucoup plus qu’à l’intelligence, qu’elle s’adresse et qu’elle arrive. Son origine, son principe, autant que son but, est le sentiment, non la raison. La logique, l’entendement, l’esprit enfin (lo spirito), a peu de part en elle. L’âme, l’âme seule, voilà d’où lui vient tout son pouvoir et son unique beauté. Aussi bien, dans l’ordre qu’on peut appeler intellectuel ou rationnel, le fervent apologiste du maître de Sicile ne se dissimule pas les faiblesses du musicien qu’il aime, qu’il a d’autres motifs

  1. La musica di Vincenzo Bellini, par M. Ildebrando Pizzetti, directeur de l’Institut Royal de musique de Florence. — Firenze, la Voce, 1918.