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qu’on attend la majeure partie des 1 152 millions que doit produire, en une année de guerre, l’ensemble des nouvelles taxes sur les paiements[1].

Depuis que le monde est monde, on a toujours vu le luxe loué par les uns, blâmé par les autres, et parfois par les mêmes, tel Montesquieu qui aspire au chapitre IV du livre VII de l’Esprit des Lois que « si les riches ne dépensent pas beaucoup, les pauvres mourront de faim, » et qui deux pages plus loin se récrie : « tant d’hommes étant occupés à faire des habits pour un seul, le moyen qu’il n’y ait bien des gens qui manquent d’habits ! » Si le préjugé populaire veut qu’il soit fait de la misère du peuple, le préjugé bourgeois y voit le signe et la condition de la prospérité nationale :


La république a bien affaire
De gens qui ne dépensent rien !
Je ne sais d’homme nécessaire
Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien…


comme dit le bon La Fontaine. Il fait, dit-on, marcher le commerce ; la rue de la Paix fait vivre Paris, et Paris fait vivre la France ! La vérité économique parait bien être que, le luxe représentant une consommation improductive de capital et de travail, si l’usage peut s’en justifier, — c’est un aiguillon de l’effort, — l’excès en est nuisible en ce qu’il soustrait abusivement du travail et du capital à la production des denrées essentielles. Or, en temps de guerre, quand toutes les forces du pays doivent tendre à ce seul but, vaincre, et en attendant vivre, l’usage ne se confond-il pas avec l’abus ? Quand chacun doit restreindre son ordinaire, voire son nécessaire, en vue de

  1. Elle ne donnera sans doute pas, au début, tout ce qu’on en attend ; les premiers rendements mensuels sont fort inférieurs aux prévisions. — Elle se perçoit, comme la taxe sur les paiements, au moyen de timbres mobiles, avec inscription sur un livre spécial à tenir par les commerçants ; ceux-ci peuvent d’ailleurs être autorisés à la percevoir en compte avec le Trésor. Elle ne frappe en aucun cas l’exportation. Les spiritueux sont considérés comme denrée de luxe ; la taxe en ce qui les concerne est doublée, calcul fait sur les prix de vente en gros.
    L’Allemagne vient d’établir : 1° une taxe de 5 pour mille sur les transactions, qui frappe d’une façon plus générale que la nôtre toutes livraisons de marchandises et fournitures de services ; 2° une taxe somptuaire de 20 pour 100 sur les achats de bijoux et pierres précieuses, et de 10 pour 100 sur les achats d’œuvres d’art, antiquités, automobiles, pianos, fourrures, etc. On attend 1 200 millions de mark de ces deux taxes.