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édifice aux matériaux pressés et disparates, que de questions n’y aurait-il pas à poser, ou à proposer ! Entre toutes, il y en a deux qui, par leur portée générale, nous paraissent solliciter surtout l’examen : ce sont celles qui concernent les droits de succession et les nouvelles taxes sur les paiements.


III

Chaque fois qu’il faut des ressources nouvelles au budget, la première pensée d’un ministre des Finances est de s’adresser aux droits de succession. Remarquez-vous en passant que nous disons droits de succession là où les Anglais disent duties, devoirs, et ne trouvez-vous pas qu’il y a toute une psychologie dans l’opposition de ces deux mots ?) — Faciles à percevoir, ils frappent la fameuse « fortune acquise » au moment où, son détenteur disparaissant, elle s’offre pour ainsi dire d’elle-même aux coups du fisc ; ils frappent non les vivants, mais les morts, qui ne se plaignent pas ; et ils frappent à coup sûr : c’est le seul impôt dont on puisse affirmer qu’il n’a pas d’incidence occulte. Et pour en justifier le principe, ou l’abus, n’a-t-on pas toujours à sa disposition la bonne vieille thèse étatiste du droit éminent de la société sur les successions ? « Dès l’instant où un homme est mort, a écrit Rousseau, son bien ne lui appartient plus, et lui prescrire les conditions sous lesquelles il peut en disposer, c’est moins altérer son droit en apparence que l’étendre en effet. » Belle faveur ! Il ne faudrait tout de même pas oublier que la nature des choses fait du droit de tester, partant de celui d’hériter, une partie intégrante du droit de propriété, l’un des meilleurs stimulants de l’effort et de l’épargne, et qu’on n’y saurait toucher d’une main imprudente sans menacer ou altérer à la fois la constitution de la famille, la fortune nationale et le progrès économique.

N’était-il pas inopportun de surtaxer les héritages en un temps où tant de morts glorieuses et douloureuses démembrent la famille française, où tant de patrimoines sont dissous ou dispersés, où l’évaluation même des biens est incertaine et leur liquidation souvent impossible ? Ces raisons ont fait écarter, pour le moment, l’idée d’une taxe annuelle sur le capital, sans sauver d’une nouvelle atteinte l’impôt successoral. Il n’y a pourtant pas longtemps que celui-ci avait été rehaussé en