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officiers, Yves Minier réussit à se sauver avec dix-sept hommes dont l’un mourut à bord de l’Aiglon. Le capitaine Loréal, le deuxième capitaine Rothou, deux autres officiers et neuf hommes furent noyés.

Si les pertes en vies humaines ont été proportionnellement aussi élevées et les difficultés du sauvetage aussi grandes à bord des cargos dont l’équipage n’a d’autre chose à faire que de veiller à sa propre sécurité, que dire lorsqu’il s’agit d’un paquebot, où il faut encore assurer l’évacuation des passagers ? Dans ce cas, la présence des convoyeurs ne suffit plus pour éviter qu’il y ait de nombreuses victimes. La Compagnie des Messageries maritimes fournit à cet égard la documentation la plus tristement abondante avec le Karnak, le Magellan, le Sinaï, l’Annam, l’Himalaya, le Calédonien, l’Athos, l’Australien, le Polynésien. Parmi ces naufrages, que les Messageries Maritimes ont supportés avec tant de stoïcisme, celui de l’Athos est incontestablement le plus dramatique. Ce beau paquebot, qui jaugeait 14 000 tonnes et fut mis en service depuis le début des hostilités, ramenait d’Extrême-Orient 2 164 personnes (en majorité des coolies chinois placés sous la garde de tirailleurs sénégalais). Deux torpilleurs convoyaient ce chargement précieux. Le 17 février, à douze heures vingt-sept, par 35°84 de latitude Nord et 18°32 de longitude, l’Athos, bien qu’il fût encadré de très près par ses convoyeurs, reçut une torpille par le travers de la cloison étanche qui sépare les machines de la cambuse. Le bateau est perdu, l’évacuation s’impose. « Elle s’effectue avec un calme admirable. » Quelques membres de l’équipage s’étant groupés autour du commandant Dorise, celui-ci les invite à le quitter. « Mes enfants, il n’y a plus rien à faire, dit-il, merci, il faut s’en aller. » Et il demeure seul avec le contrôleur des postes, Maurel. On embarque d’abord les femmes et les enfants « dans un ordre parfait. » Mais le bâtiment se couche de plus en plus. Ceux qui y restent encore, — et ils sont en grand nombre, — se réfugient sur le flanc tribord de l’Athos qui émerge jusqu’à la quille. A ce moment, cédant sous leur propre poids, les chaînes d’ancre se « décapèlent » et, fouettant les flancs du navire, fauchent, ainsi qu’une gigantesque faucille, la moisson de naufragés le long de la carène. Les tirailleurs de garde de police coulent à leur poste, l’arme au pied, baïonnette au canon, pareils a des statues de bronze.