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la brise augmentait de violence. « Vers dix heures trente, raconte le deuxième capitaine, le canot 4 où le commandant avait pris place chavire dans une lame. Des appels se font entendre. Le canot numéro 2 dans lequel je me trouve manœuvre aussitôt pour porter secours aux naufragés. Il essaie par deux fois de se tenir debout au vent sans pouvoir y réussir. La nuit tombe lentement… les appels désespérés cessent… » Vingt et un hommes du Cacique succombent dans ces conditions. Le reste de l’équipage ne peut atterrir qu’après un séjour de quatre-vingt-douze heures dans l’embarcation où il a enduré des souffrances inouïes.

Le torpillage de l’Isère, de la même compagnie que le Cacique, n’est pas moins tragique. « Le 23 juin 1917, à huit heures du matin, raconte Yves Minier, chef mécanicien, après avoir fait une ronde dans la machine, je me disposais, aidé du personnel du troisième quart, à continuer la visite du treuil n° 3, lorsqu’une effroyable détonation se fit entendre, suivie d’une gerbe d’eau énorme par le travers de la cale 2 et de la chambre des chaudières. Nous avions vraisemblablement été touchés par une torpille. À ce moment, chacun se précipita aux embarcations qui étaient suspendues en dehors du navire. Nous avions eu à peine le temps de les mettre à l’eau que le navire disparaissait d’un coup, entraînant dans sa perte tous ceux qui étaient à bord, engloutissant et démolissant les deux embarcations. Après la disparition du navire, et alors qu’il cherchait une épave, M. Gachet affirme avoir aperçu le périscope d’un sous-marin filant à grande allure émergeant à 50 centimètres environ au-dessus de la surface de l’eau. Les quelques rescapés et moi n’avons dû notre salut qu’aux ceintures de sauvetage dont nous nous étions munis. Chacun de nous, remonté à la surface, s’agrippait à des débris de bois que l’explosion avait transformés en épaves. Nous fûmes sauvés, une heure et demie après le désastre, par le chalutier français Aiglon où nous reçûmes du capitaine et de son équipage les soins les plus dévoués. » Le capitaine dont il est question ici était le lieutenant de vaisseau Gilbert de La Rochefoucauld, descendant du célèbre philosophe, qui puisa, sans doute dans la lecture des « Maximes » de son ancêtre, des forces pour allier « cette rudesse de loup de mer » dépeinte par les rescapés, à la générosité du grand seigneur. Dans ce naufrage de l’Isère, seul de tous les