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« inspirée, » à la façon de Lamartine, il n’est pas beaucoup plus indulgent pour la beauté strictement plastique des œuvres qui lui paraissent dépourvues de signification. Ni l’idée sans la forme, ni la forme sans l’idée, pourrait être la devise maîtresse de sa poétique.

N’est-ce pas celle qu’il applique constamment ? Toutes ses trouvailles musicales ou pittoresques, si curieuses en soi qu’elles puissent être, valent encore plus par l’heureuse ingéniosité avec laquelle elles soulignent tel aspect particulier de l’idée ou du sentiment. Les exemples en surabondent : nous accusera-t-on de pédantisme, si nous nous attardons à en cueillir deux ou trois entre des centaines ?

Dans la composition rythmique d’abord. Prenez la Vérandah, où le retour entre-croisé des vers et des strophes produit un si original effet de symétrie compliquée : est-ce simplement un tour de force « amusant, » comme on dit en langage d’atelier ? ou, bien plutôt, le poète n’a-t-il pas voulu rendre sensible, par le dessin savant de son petit tableau, ce qu’il y a de subtil, de minutieusement puéril, de lent aussi et de « fermé, » dans la civilisation voluptueuse de la Perse ? Prenez le Retour d’Adonis : est-ce que l’alternance des alexandrins et des octosyllabes, avec les rimes « embrassées, » ne traduit pas, par les molles ondulations de son balancement, la langueur du mysticisme asiatique ?

À l’abri du feuillage et des fleurs et des herbes,
         D’huile syrienne embaumé,
Il repose, le Dieu brillant, le Bien-Aimé,
         Le jeune Homme aux lèvres imberbes.

Voyez encore comment, dans Qaïn, Leconte de Lisle adapte l’instrument rythmique à la nature des visions qu’il évoque et des réflexions qu’il suggère. La strophe de Qaïn, c’est la strophe classique des quatre alexandrins à rimes croisées ; mais, avec un merveilleux sens musical, le poète l’a prolongée, alourdie et comme durcie, en y introduisant, au milieu, un cinquième vers masculin : cette forme pleine et pesante convient mieux que toute autre à la résurrection de la Ville des Forts, comme aux imprécations farouches du grand Rebelle… On pourrait prolonger cette recherche : toujours on verrait qu’en Leconte de Lisle l’artisan de mètres est certes prodigieux, mais qu’il