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Chapri, le 31 janvier/12 février 1918.

Dès que je suis arrivé à la dernière gare que nous occupons dans la direction de Taganrog, je me rends chez le colonel Koutiepov, de la garde impériale, qui commande nos avant-gardes.

L’ennemi dispose de 3 500 hommes sous les ordres du lieutenant allemand von Sieuwers. Les éléments les plus fermes, — mais qu’on épargne le plus soigneusement, — sont d’anciens prisonniers de guerre germano-autrichiens, et des Lettons, qui, comme partout en Russie, se battent à côté des Bolcheviks. L’ancienne armée russe est représentée par la 4e division de cavalerie, sous le colonel Davidof, — dont il faudra se souvenir plus tard, quand sonnera l’heure du règlement de comptes. Elle comprend 12 escadrons à pied, 12 autres montés, et une batterie à cheval, en tout 1 200 hommes. Enfin, 3 bataillons de gardes rouges, sous Trifonof.

Nous n’avons à leur opposer que 350 hommes, officiers et Cadets. L’incertitude où est l’ennemi à l’égard de notre nombre, son indiscipline et sa lâcheté rendent seules notre résistance possible. D’avance, il a limité le combat aux lignes de chemin de fer. Il s’approche en trains blindés, locomotives en arrière, prêtes à repartir.


Chapri, le 31 janvier/13 février 1918.

Notre compagnie d’officiers monte la garde dans la gare, où nous couchons sur des bottes de paille. Le capitaine Zaremba a aménagé dans le cabinet du chef de gare, une ambulance où deux sœurs de charité, une Polonaise et une Anglaise, soignent nos blessés.

Soirée des plus mélancoliques. Nous fumons en silence, l’attention en éveil, l’oreille au guet, occupés à écouler les coups de fusil qui crépitent sans cesse, au loin, où nos postes avancés gardent les groupes d’arbres et le sommet des petites collines qui surplombent le Don.

Un capitaine, ancien ingénieur, intelligent et homme de cœur, me confie ses doutes : « Pourquoi nous battons-nous ? Pourquoi toutes nos perles et tout ce sang qui coule, — Dieu sait pour qui ? Pour la patrie qui nous abandonne ? Pour le peuple, qui nous traque comme des bêtes féroces, qui nous poursuit