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décision farouche d’un vrai chef de bande… Mais c’est là un sujet auquel je reviendrai, car je soutiens que cette forme de bravoure est infiniment rare.

Une fois, pendant notre conversation, ce fut lui qui me posa une question :

— A votre avis, me demanda-t-il, qu’est-ce qui fait que nos détachements de matelots sont tellement supérieurs aux autres corps de la révolution, par exemple aux gardes rouges ?

— Rien de plus simple : cela tient à cette discipline sévère dont vous ne cessez de vous plaindre. C’est elle qui produit chez eux cet esprit de corps, que rien ne remplace et qu’on reconnaît tout de suite. Ce sont vos victimes qui vous ont armés pour la lutte contre la noblesse et le capital.

Il me jeta un mauvais regard et détourna la conversation.


LA SITUATION A ALEXANDROVSK

Lorsque les Bolcheviks s’emparèrent de la ville, — à peu près sans résistance, — ils eurent pour premier souci de se créer une caisse de guerre et d’organiser une garde rouge locale. On s’empara, dans la nuit, de quelques riches bourgeois, et on fit savoir à leurs familles qu’on ne répondait pas de leur vie si, le lendemain matin, la somme de 500 000 roubles n’avait pas été déposée au Comité. Les parents des otages coururent toute la nuit pour réunir la somme exigée en bons billets de la couronne, les Bolcheviks ayant refusé d’accepter ni chèques, ni billets de crédit locaux.

C’est parmi les ouvriers des fabriques que se recruta la garde rouge. La révolution avait déjà sensiblement modifié les conditions du travail : entendez qu’elle avait augmenté les salaires et diminué le rendement. Pour cinq heures par jour du travail le plus médiocre, un ouvrier gagne au minimum quatre à cinq cents roubles par mois. Encore a-t-on soin de placer les meetings, réunions et palabres politiques aux heures de travail. Si un ouvrier attrape un fusil pour aller garder les ponts, aider à exproprier les bourgeois, attaquer les Ukrainiens ou les contre-révolutionnaires, il continue à toucher son salaire que le patron est tenu de lui payer. Lui prend-il fantaisie de se promener avec son fusil plus de huit heures par jour, le patron lui doit des heures supplémentaires.