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Tout d’un coup, la jeune femme prend le pas sur sa cousine Isabelle d’Anton, devenue sa nièce, la duchesse de Milan. Elle groupe autour d’elle une cour brillante et cosmopolite qui éclipse toutes les autres. Presque tous les États d’Italie traitent avec le More comme avec le maître de la Lombardie. Son prestige grandit tellement, qu’en 1493, il peut marier sa nièce, Bianca-Maria Sforza, avec l’empereur Maximilien, et il en reçoit secrètement l’investiture éventuelle du duché. En 1494, il réussit une entreprise beaucoup plus difficile encore : il s’allie avec le roi de France et lui persuade de descendre en Italie. Justement, le 20 octobre, son neveu vient à mourir, laissant une veuve trop jeune et un enfant dans un âge trop tendre pour que le pouvoir puisse leur être attribué. Le More se fait donc adjuger le trône et, le 16 mai 1495, il en reçoit publiquement l’investiture de l’Empereur. Celui-ci lui fait même un honneur bien rarement accordé aux potentats d’Italie : il vient le voir à Vigevano et consent à être le parrain de son fils aîné, lequel change de nom et, d’ErcoIe, devient Massimiliano.

Dès lors, c’est l’apothéose. L’amitié de ce grand souverain humaniste, légendaire figure de la Renaissance, achève de le griser. « Je suis l’enfant de la Fortune, » dit-il. « Tout ce que cet homme tente réussit et tout ce dont il rêve pendant la nuit se réalise le jour, » s’écrie un contemporain, qui ajoute : « En vérité, il est estimé et respecté dans le monde entier et considéré comme l’homme le plus sage et le plus heureux de toute l’Italie, et tout le monde le craint, car la fortune le favorise en tout ce qu’il entreprend. »

Les poètes renchérissaient encore sur les diplomates. Vis-conti lui écrivait :


A te, mio Duca celeùrando Moro,
Non mai manca desio di eterna fama
Da poi che vachi al gubernal lavoro
De tutta Europa che ti onora e ama.


On célébrait, en lui, l’homme qui ramenait l’âge d’or, qui serait un César dans la guerre et un Auguste dans la paix, plus doux et plus juste que Titus et Trajan, avec les richesses de Crésus, Tout habituelle et pour ainsi dire obligatoire que fût, à cette époque, l’exagération hyperbolique des éloges dus à un