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nous renseigne par l’agent de Maison. On doit enlever le village d’Urvillers, à trois kilomètres. Six compagnies allemandes l’occupent. Le soleil est torride. Le combat ronfle en avant de nous. On distingue les éclatements proches. Un obus, deux obus qui nous couvrent de terre. Des balles frappent, des hommes culbutent et poussent une plainte rauque ou tendre, élémentaire…

Qu’entend-on à droite ? Le tambour ? Oui ! Et le clairon ! Sur la route, la clique bat la charge, — « Baïonnette au canon ! » On crie : « Doucement ! ne courez pas ! » Nous avançons sur un rang et la ligne se prolonge, loin à gauche, marquée par l’étincellement des baïonnettes qui piquent obliquement le ciel bleu. Les tambours se pressent ; le rythme est plus vif. — « En avant ! » Et tous les hommes clament : « En avant ! » C’est la grande minute, celle où l’esprit souffle. Un frisson électrique tend mon front, contracte la racine de mes cheveux. Les tambours s’enragent ; le vent chaud perle les notes du clairon :


Ya la goutte à boire, là haut !
Ya la goutte à boire…


Les hommes gueulent. Ils y sont tous : Merda, Rasmont, Girard, tous, transportés ! Il en tombe. Enjambons-les !… On nous arrête. Cette charge semble folle sur un village distant de neuf cents mètres pourvu, sans doute, d’une défense intacte. Des ordres circulent : « Couchez-vous ! faites des abris !… »


L’offensive s’arrête à 900 mètres d’Urvillers. Comparez les deux récits ; ils se raccordent exactement ; nous savons, par le témoignage de Kutscher, qu’au moment où le clairon français sonnait la charge, la défense était loin d’être tranquille de l’autre côté. Ce sont ces minutes qui décident parfois du sort des batailles.

Dans le camp français on ne se rendait pas compte de ce qui se passait dans l’autre camp. A la guerre, et surtout dans cette guerre, on ignore le mal que l’on fait à l’ennemi.


La bataille pour Saint-Quentin l’après-midi du 29. Échec de l’offensive. — Nous sommes au milieu de la journée du 29.

La bataille est en suspens. Comment va-t-elle se décider ?

Il s’agit de suivre, d’abord, la pointe du 18e corps, au moment où la 69e division de réserve demande du secours à gauche vers Urvillers et où le 3e corps, à droite, se détourne de la route de Guise à Saint-Quentin pour repousser le Xe corps