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tête ; de Vigevano, où il était alors, il se retira à Abbialegrasso, puis au Castello de Milan et se mit à pousser des cris désespérés pour appeler au secours. « Il est en mauvaise santé, avec une main paralysée et haï par tout le peuple, dont il craint un soulèvement, » racontent certains Frères Lombards, en arrivant à Venise. C’est à ce moment que Béatrice intervient. Elle prend les mesures nécessaires pour défendre le Castello en cas d’attaque ; elle rassemble les notables de Milan et leur dit les mots qu’il faut dire pour garder, unie, cette gerbe de forces et de volontés qui allait s’éparpiller. Elle convainc tout le monde de son aptitude à exercer le pouvoir par la violence du désir qu’elle a de le garder. C’est un peu Théodora sauvant Justinien. Il suffisait, en effet, de tenir quelques jours. Les secours de Venise arrivaient peu après, et cette fois, du moins, le More fut sauvé.

Dans tout cela, où est la mère, où est la fille, où est l’épouse ? La mère est banale. Elle se manifeste dans les lettres qu’elle écrit sur ses deux fils, Ercole, plus tard appelé Massimiliano en l’honneur de l’Empereur, et Francesco. On y trouve l’orgueil habituel qu’inspirent de beaux enfants et la sollicitude que pourrait montrer la moindre des femmes de Lombardie, mêlés des préjugés habituels à cette époque. Par exemple, elle écrit, de Villanova, le 16 avril 1494, à sa mère :


Très illustre Madame et très chère Mère, votre Excellence doit pardonner mon retard à vous écrire. La raison est que, chaque jour, j’espérais que le peintre m’apporterait le portrait d’Ercole, que mon mari et moi vous envoyons par ce courrier. Et je puis vous assurer qu’il est beaucoup plus gros que ce portrait le fait croire, car il y a déjà plus d’une semaine qu’il a été peint. Mais je n’envoie pas la mesure de sa taille, parce que les gens d’ici disent que, si on mesure les enfants, cela les empêche de grandir. Sans cela, certainement, je vous la donnerais. Mon seigneur et moi, nous nous recommandons tous les deux à votre Excellence et je baise votre main, ma très chère mère. Votre obéissante servante et enfant. Béatrice Sfortia d’Este, de ma propre main.


L’épouse était ce que furent sa sœur Isabelle d’Este, la belle-sœur de sa sœur Elisabetta Gonzague, et presque toutes les princesses de ce temps, au moins dans le Nord de l’Italie : fidèle, affectueuse, tolérante. Nous l’avons vue fièrement jalouse et incompatible à son entrée au Palais, d’où elle fit chasser la Gallerani. Mais ce ne fut qu’un feu de paille :