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en matériels et en munitions, si médiocrement soutenue au début par une industrie métallurgique désorganisée, elle a su résister, gagner du temps, donner à la nation le loisir de se reprendre et de s’armer. Durant toute l’année 1915 et jusqu’aux premières semaines de Verdun, il faut bien que notre artillerie ait eu à son avantage quelque mérite particulier, qui fit contrepoids à la force d’écrasement de bouches à feu ennemies plus nombreuses et plus puissantes, et qu’était-ce donc, sinon plus d’intelligence ?

Voilà ce que chacun peut voir à plein et sentir, s’il considère ce qu’il a fallu assembler, conjuguer, déployer des énergies les plus diverses de l’intelligence française pour rétablir l’équilibre ; — pour parvenir, du jour où la guerre prit la forme d’une guerre de siège, à étendre et à adapter, non seulement à notre artillerie lourde, encore embryonnaire, mais à notre artillerie de campagne, les méthodes de l’artillerie à pied ; — pour établir, sur le modèle des rares plans directeurs de tir de nos places fortes, des cartes où fût décrite, avec le même détail, de la mer aux Vosges, toute la zone des positions ennemies ; — pour constituer l’art de l’observation terrestre et l’art de l’observation aérienne ; — pour imaginer la longue série des procédés de signalisation qui va des évolutions naïves de l’avion de 1914 jusqu’à l’installation à bord de l’avion d’aujourd’hui d’un poste d’émission, puis d’un poste de réception de télégraphie sans fil ; — pour inventer les méthodes subtiles du repérage par les lueurs, du repérage par le son ; — pour combiner le système des liaisons, optiques, téléphoniques, et de celles qu’on doit à la télégraphie sans fil et à la télégraphie par le sol ; — pour calculer, dans la conduite du tir, toutes les causes dont les effets peuvent être chiffrés, en sorte que l’on fasse profiter chaque tir de tous les enseignements de la balistique, par un travail qui commence au lotissement des projectiles et se poursuit, par l’étude des variations du vent et de la densité de l’air, jusqu’à l’examen des bulletins de tir. Météorologie, acoustique, optique, cartographie, quelle science l’artillerie n’a-t-elle pas réquisitionnée à son service ? De tout temps elle fut l’« arme savante, » mais surtout dans cette guerre, et ce que le plus profane peut voir et admirer, c’est qu’aujourd’hui tout commandant de batterie, un simple officier d’antenne, un simple lieutenant observateur, est devenu le