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par quelles merveilles de son double génie d’improvisation et d’organisation elle se constitua en grande puissance industrielle : c’est une noble histoire qu’il serait beau de retracer, que nous tenterons peut-être de retracer un jour. Qu’il nous suffise ici de noter quelques faits.

Pour la fabrication des obus, privés que nous sommes des bassins de Briey et du Nord, il nous faut importer le minerai et le charbon (sans compter le cuivre) : l’Espagne, l’Angleterre, la Suède, les États-Unis nous alimentent. Les sous-marins ont beau entraver bientôt les importations : du chiffre prévu de 5 000 obus à fabriquer par jour, les arsenaux français, puissamment aidés par l’industrie privée, parviennent par degrés ù une production quotidienne de 250 000, dont 60 000 de gros calibres.

Pour les poudres, nos difficultés sont pires. Avant la guerre, vu le médiocre développement de notre industrie chimique, nos poudreries étaient (chose singulière) tributaires de l’Allemagne pour une part des matières premières qui entrent dans la composition de la poudre B. Le coton, surtout depuis que les départements envahis du Nord ne fournissent plus les déchets de leurs filatures, vient d’Amérique. L’acide sulfurique provient du traitement de pyrites importées. L’acide nitrique est extrait des nitrates venus du Chili ou produit en Norvège au moyen de l’azote extrait de l’air. L’alcool et l’éther nous sont fournis par la Russie et l’Espagne. Néanmoins, ce n’est pas en vain que notre alliée l’Angleterre nous assure la liberté des mers : nous réussissons à nous procurer toutes ces matières, et nos poudreries produisent continûment vingt fois ce qu’elles produisaient en temps de paix[1].

Elles suffisent à nous donner les poudres nécessaires, mais il en va autrement des explosifs. Les usines privées, plus nombreuses que celles de l’État (17 usines privées, 14 poudreries nationales), interviennent pour fabriquer les matières premières, dont certaines d’ailleurs sont utilisées pour la poudre. Comme elles nous venaient en partie d’Allemagne, il faut créer ou développer en France des industries jusqu’alors inconnues ou négligées : distillation du goudron de

  1. Une évolution cependant se produit dans la fabrication : la poudre B est remplacée, pour partie, par la poudre à la nitroglycérine, qui demande moins de coton et ne demande pas d’alcool.