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4 000 coups par pièce[1]. Quant à son artillerie de campagne, si les premières batailles l’ont appauvrie pour un temps, tout a été prévu pour que la fabrication de ses projectiles se poursuive aisément. En France, au contraire, la mobilisation a fermé ou désorganisé nos usines. De plus, non par leur valeur guerrière, mais plutôt par leur crime, qu’il ne faut pas se lasser de rappeler, par l’invasion de cette Belgique qu’eux-mêmes avaient déclarée « État perpétuellement neutre, » les Allemands venaient de nous déposséder de nos plus riches centres industriels.

Ils exultent, et leurs statistiques précises et triomphales expliquent quelle doit être la détresse de la France : « Des 123 hauts fourneaux, disent-ils, qui étaient à feu en France au commencement de 1913 sur les 170 existants, il n’y en a pas moins de 95 qui se trouvent dans la zone de guerre ; 30 hauts fourneaux à peine peuvent fournir de la fonte en France[2]. » Ils supputent, — et ils n’exagèrent pas, — ce que la France a perdu : 60 000 de ses ouvriers métallurgistes sur 112 000, et en outre 40 pour 100 de ses ressources en charbon, 80 pour 100 de ses ressources en coke, 90 pour 100 de ses ressources en minerai de fer, 70 pour 100 de ses ressources en fonte, 80 pour 100 de ses ressources en acier, 80 pour 100 de son outillage.

La voilà donc désarmée, disent-ils, à jamais. Ils se sont trompés. La France saura pourvoir à ses besoins et au-delà, pourvoir aux besoins de ses Alliés, et au-delà. Comment elle rouvrit les usines qui lui restaient, les remit en branle, les agrandit, les transforma toutes en usines de guerre, en créa de nouvelles ; comment, pour se procurer la main-d’œuvre qu’il fallait, elle embaucha les femmes (41 000 femmes dans les usines au 1er juin 1915, 109 000 au 1er janvier 1916, 204 000 au 1er octobre 1916, 300 000 au 1er janvier 1917) ; comment elle ramena de la tranchée à l’atelier ou à la mine les ouvriers qualifiés et jusqu’à de simples manœuvres, et recruta des travailleurs jusque dans ses colonies les plus lointaines ; comment elle constitua, après les équipes de jour, les équipes de nuit ;

  1. Les Allemands avaient cru, — on peut mesurer par-là leur illusion et leur déception, — que cet approvisionnement suffirait pour toute la guerre : la fabrication des munitions d’artillerie lourde devait cesser à la mobilisation.
  2. Statistique dressée par Schroeder, président de l’Association métallurgique allemande.