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renversée. En revanche, pour la contre-batterie, le 75 manquait de portée, et le pouvoir de l’artillerie lourde ennemie se manifesta.

Par elle, nous avons souffert gravement, et l’on ne saurait trop admirer pour leur clairvoyance ceux de nos techniciens qui, à l’exemple du général Herr, avaient préconisé l’emploi des canons à longue portée comme arme de campagne. Pourtant, il serait inexact d’attribuer tous nos revers du début à notre infériorité en artillerie lourde. Ils eurent d’autres causes, comme on sait, et de plus essentielles, et d’abord celle qui les domine toutes, le crime de l’invasion de la Belgique, qui seul permit l’enveloppement de notre aile gauche. Qu’en certaines affaires, à Dieuze, à Sarrebourg, les Allemands aient dû principalement la victoire à leur artillerie lourde, c’est chose certaine ; mais ce furent des batailles très analogues à celles de la guerre de position, où ils nous arrêtèrent sur un terrain préparé à l’avance, organisé défensivement dès le temps de paix. Au contraire, dans les batailles qui retinrent les caractères de la guerre de mouvement, leur artillerie lourde fut loin de leur assurer la prépondérance, ou du moins notre artillerie de campagne sut répondre, et ceux qui l’avaient prédit reprennent par-là quelque avantage. Car jamais ils n’avaient dit, absurdement, que dans une guerre de siège ou de position, notre artillerie de campagne suffirait ; ils avaient dit que notre artillerie de campagne suffirait en rase campagne, et ce fut une erreur sans doute, mais non pas totale. Nous avons vaincu à Guise, il ne faudrait pourtant pas l’oublier, sans autre artillerie que de l’artillerie de campagne. Nous avons vaincu sur la Mortagne sans grand déploiement d’artillerie lourde ; nous avions très peu de canons lourds sur la Marne, et nous avons vaincu ; sur l’Yser, et nous avons vaincu.

La vérité est que les deux premiers mois de la guerre bouleversèrent toutes les prévisions sur le rôle de l’artillerie dans la bataille, les prévisions des Allemands aussi bien que les nôtres. Eux aussi, eux surtout, ils étaient entrés dans la lutte avec des idées de guerre rapide, d’offensive foudroyante, d’avance irrésistible, de décision presque immédiate. Dès les premiers chocs, ils furent contraints, tout comme nous, à déchanter. Ils avaient eu beau s’exercer dans leurs camps d’artillerie et, durant les guerres des Balkans, commander des batteries turques : ni leur