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sa maniabilité, de la vitesse de son tir, il devient moins puissant que cet autre à toutes les distances où cet autre peut servir. Si, pour tirer à 8 000 mètres, un 120 long vaut quelque chose et un 75 ne vaut rien, il n’en reste pas moins que, à 6 000 mètres, un 75 vaut mieux qu’un 120 long (ou tout autre canon à longue portée). Pris sous le feu à 8 000 mètres, un 75 ne pourra pas riposter, c’est l’évidence ; mais qu’il se dérobe, qu’il fasse appel à la manœuvre, qu’il se rapproche, — sa mobilité le lui permettra toujours, — et, une fois à portée propice, il prendra l’avantage par la rapidité et l’efficacité supérieures de son tir. Divers incidents des guerres balkaniques le prouvent ; n’a-t-on pas vu, par exemple, au combat de Vietressa (10 juillet 1913), les Grecs, pourvus seulement d’artillerie de campagne et arrêtés d’abord à neuf kilomètres par l’artillerie lourde bulgare, se rapprocher de nuit des grosses pièces ennemies, les réduire au silence, et le lendemain, reportant en avant leur infanterie appuyée par une simple artillerie de montagne, capturer toute l’artillerie bulgare, légère et lourde ? Durant les guerres des Balkans, — c’est la conclusion commune de ces diverses études, — l’artillerie lourde n’a servi que dans quelques occasions spéciales, et surtout pour permettre à des chefs timorés d’éliminer le risque. Au contraire, dans une suite d’opérations menées très activement et par un chef habile à exploiter les ressources de la manœuvre, elle ne trouvera que bien rarement son emploi.

C’est ainsi qu’au printemps de 1914 le problème était encore agité, et l’on voit qu’il était complexe, surtout parce qu’on le liait à des doctrines alors courantes sur l’esprit d’offensive : à la guerre rapide, toute de mouvement, qu’on se représentait à l’avance, il fallait une armée essentiellement manœuvrière, dont il semblait bien qu’une artillerie de campagne excellente dût être l’outil nécessaire et suffisant. Dans une telle guerre, notre canon de 75 n’aurait affaire qu’au canon de 77 et à l’obusier léger de 105 allemand, et il suffirait contre eux.

Une circonstance venait d’ailleurs de renforcer notre confiance : depuis 1910, l’invention de la nouvelle fusée permettait le tir à ricochet et avait accru l’excellence du canon de 75. L’obus du 77, alors peu dangereux contre l’infanterie, était impuissant dans la lutté d’artillerie, tandis que le canon de 75, grâce à son obus explosif, constituait une arme très utile contre