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mis en mesure d’appliquer. Pour l’instant, ils la professent à portes ouvertes, sans en faire nul mystère, et nos Revues militaires abondent en descriptions de leurs canons longs, de leurs mortiers et de leurs obusiers de campagne[1], en analyses de leurs livres sur l’emploi tactique de l’artillerie lourde[2], en commentaires sur leur nouveau Règlement de l’artillerie à pied. Ces livres, ce Règlement officiel parlent clair : les Allemands voient dans leur nouvelle artillerie lourde une véritable arme de campagne : opérant en liaison avec les autres armes, elle tiendra en campagne un double rôle ; d’une part, elle agira à grande distance avant la bataille pour retarder l’ennemi, l’inquiéter, l’obliger à se déployer prématurément, etc. d’autre part et surtout, sa mission sera de prendre à partie l’artillerie et de l’écraser.

Si nous n’avons pas imité les Allemands, ce n’est donc pas faute d’avoir connu, observé, compris leur idée et leurs préparatifs. Mais la collection de la Revue d’artillerie témoigne que, jusqu’à la veille des hostilités, des techniciens nombreux persistèrent dans la créance qu’il serait inutile, voire imprudent, de les imiter. Plusieurs d’entre eux avaient visité, tout comme le général lien., les champs de bataille des Balkans, mais pour en rapporter des observations bien différentes des siennes.

Voici leur thèse[3]. Est-il sûr, demandent-ils, que, dans une guerre de mouvement, une artillerie à plus grande portée doive nécessairement dominer une artillerie à moindre portée, qu’elle soit propre à la détruire ou même à la maîtriser ? On ne tire bien que sur ce que l’on voit bien, et comment concevoir un engagement de batteries invisibles contre des batteries invisibles ? Oui dit artillerie lourde dit artillerie imposante, sans doute, mais pas nécessairement artillerie puissante. Certes, et c’est une vérité par trop vraie, un canon qui porte plus loin qu’un autre est puissant à partir de la distance où l’autre devient impuissant ; mais, comme il n’a acquis cet avantage qu’au prix de certains sacrifices, aux dépens de sa légèreté, de

  1. Voir, par exemple, la Revue d’artillerie, au tome LXXXI (novembre 1912), p. 121 ; au tome LXXXII (1913), p. 298, 374. 444.
  2. Voir au tome LXXXIII, p. 113, de la Revue d’artillerie, un compte rendu critique, par le capitaine Pesseau, de l’ouvrage de Hans Friederich, Die taktische Verbendung der schweren Artillerie, Berlin, 2e édition. 1913.
  3. D’après divers articles de la Revue d’artillerie, dont nous reproduisons ici l’essentiel.