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Musique connue, instrument médiocre : dès les premières mesures, M. de Payer joue un peu fort. Il est vrai que c’est à Stuttgart, dans un banquet de journalistes wurtembergeois, qui n’ont pas peur qu’on souffle. Mais prétendre établir que, «malgré les récents succès militaires bruyamment annoncés, » l’Entente ressent, tout comme la Quadruple Alliance, une forte dépression morale, rentrée en matière est assez violente. A quoi le vice-chancelier mesure-t-il cette dépression imaginaire? A l’élan des soldats de Foch, de Douglas Haig et de Pershing? Aux sentiments que leurs exploits ont fait naître ou ont ravivés dans les âmes de la population civile? Ce serait quelque chose de nouveau, le doute dans la certitude, la dépression dans la victoire. Peut-être M. de Payer, en mettant au même niveau le moral des Empires et le moral de l’Entente, visait-il moins encore à nous déprécier ou à nous calomnier qu’à relever ses concitoyens, tombés d’une énorme hauteur. Il semble qu’il ait des scrupules, autant qu’un Allemand puisse en avoir; il atténue, il enveloppe, il efface presque : « Je connais trop peu la psychologie des ennemis pour répondre à cette question (qui est-ce qui les soutient, est-ce seulement l’espoir de l’écroulement intérieur de l’Empire?). On a parfois l’impression que leurs défaites, leurs pertes, leurs misères et leurs désillusions ont augmenté plutôt leur force de résistance. » Et l’Allemagne ! « L’Allemagne a battu déjà des millions de Russes, de Serbes et de Roumains; cependant on ne peut méconnaître que la coopération américaine sur le front représente pour elle un lourd fardeau dont le poids s’accroît constamment. » M. de Payer y consent. « La guerre sous-marine n’a pas eu des effets aussi rapides et aussi sûrs qu’on l’escomptait. Nous en sommes malheureusement devenus plus pauvres d’une espérance. » C’est en contradiction avec ce qu’avait déjà dit l’Empereur, avec ce qu’allait dire encore l’amiral von Scheer, mais deux Allemands au même moment, et souvent le même Allemand en deux moments, n’en sont pas à une contradiction près.

Le vice-chancelier de l’Empire n’a plus, dans ce bouleversement de toutes choses, qu’une conviction bien enracinée, qu’une idée fixe. « Il n’y a pas, pose-t-il en axiome, un homme réfléchi qui puisse supposer que cette guerre se terminera par une paix comme les autres. » D’abord, « la paix ne devra pas être faite sans les peuples, et, les gouvernements ne pourront la faire qu’en accord étroit avec eux. « Mais ces peuples, que recherchent-ils? « Pour eux, la chose principale n’est pas le gain en habitants, en biens, en territoires, en honneurs; ce qu’ils veulent, en première ligne, c’est une paix