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d’appeler, et, par un perpétuel blasphème, la familiarité allant jusqu’à la domestication, de sonner en quelque manière le premier, pour le faire intervenir comme conseiller et comme garant dans toutes les affaires. Guillaume le jure : « Celui qui est là-haut (l’Autre) sait quelle conscience j’ai de ma responsabilité. » Celui-là ne sait pas moins bien les choses dont l’Empereur n’a pas conscience. « Nous Allemands, nous connaissons seulement la colère loyale qui frappe l’adversaire; mais lorsqu’il est terrassé et qu’il saigne, nous lui tendons la main et prenons soin de sa guérison. » De quelle oreille peut-il entendre de telles paroles, le Maître des terres et des mers pleines de victimes innocentes, l’Hôte des cathédrales en flammes, l’Esprit qui habite les ruines; et qui donc ose les lui dire, à Lui dont les éclats de rire sont parfois des éclats de tonnerre? Mais l’hypocrite ose tout : « Nous plairons à Dieu, gémit l’Empereur. » Et, se rappelant où et à qui il parle : « Chacun de nous reçoit d’en haut sa tâche, toi à ton tour, moi sur mon trône ; mais nous devons tous tabler sur l’aide de Dieu. Le doute est la plus grande ingratitude à l’égard du Seigneur... Confiez-lui toutes vos peines, il veille sur nous. » Et encore : « Aspirez au royaume des Cieux et vous l’obtiendrez. » Combien sont-ils, en Allemagne, qui, parce que l’Empereur a aspiré à la domination universelle, ont obtenu le royaume des Cieux? On les compterait par millions, mais, eux, ils ne se lèveront plus pour acclamer d’un Ia! aussi servi le que sonore l’exhortation impériale, de tenir jusqu’au bout. Le bout qu’il leur a donné, ils le tiennent. La haine, la paix, le sacré, le profane, en terminant son prêche, ce pasteur de peuples, qui se fait, à l’occasion, pasteur tout court, et qui, le reste du temps, a une si singulière façon de mener paître ses brebis, môle tout dans une péroraison également pieuse et cavalière : « Allemands, groupons-nous. Haut les glaives, haut les cœurs, les muscles tendus pour la lutte... et aussi longtemps que cela durera, que Dieu nous aide! » Un signe de croix : Amen! Un geste du bout des doigts : « Et adieu pour aujourd’hui! »

On ne s’aventurerait guère à avancer que ce sermon est sans modèle et sans précédent dans la littérature politique. Entre tous les discours qu’ont fabriqués les historiens antiques ou recueillis les modernes, il n’en est probablement pas un pareil. Il s’écarte même à ce point du langage politique ordinaire qu’il faut l’analyser de tout près, le décortiquer et presque le disséquer, pour en retrouver les intentions politiques. Mais, en le découpant membre à membre, il semble qu’il s’en découvre trois. La principale est, en prévision