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« Maintes choses auraient pu être autres, et il n’est pas étonnant que l’on ait vu naître du mécontentement. » L’aveu est intéressant, et d’ailleurs il se transforme aussitôt en accusation : « Mais, en définitive, à qui devons-nous ces tristesses? Qui, dès le début de la guerre, déclara que les femmes, que les enfants allemands devaient être réduits par la famine? Qui est-ce qui mit une haine effroyable dans cette guerre? Ce sont nos ennemis. »

Ici commence une suite incohérente de couplets alternés sur un double thème : « la haine » et « la paix. » La haine, on s’en doutait, est le lot des adversaires de l’Allemagne. Quant à l’Allemagne, elle-même, la paix, qui fut le plus précieux de ses trésors, est le plus ardent de ses désirs. Finalement, tous ces couplets s’épanouissent en une large strophe, dont le thème, double encore, est « le bien et le mal. » L’éternelle lutte d’Ormuz et d’Ahriman. Ainsi parle Zarathustra. Il suppose que plus d’un, parmi les ouvriers qui l’écoutent, s’est plusieurs fois interrogé : D’où est venue, après quarante années de paix, cette guerre si longue et si dure? et, pour le tirer d’embarras : « J’ai longuement, assure-t-il, réfléchi à ce propos. Je suis arrivé à cette conclusion : sur la terre, le bien lutte contre le mal. Il en fut décidé de la sorte par le Très-Haut. Le oui et le non, le non du sceptique, le oui du créateur, le non du pessimiste contre le oui de l’optimiste, le non de l’incrédule contre le oui de celui qui a la foi forte, le oui du Ciel contre le non de l’Enfer. Vous me donnerez raison si je dis que cette guerre est née de la grande négation; et si vous me demandez de quelle négation il s’agit, je réponds : C’est la négation du droit à l’existence pour le peuple allemand, c’est la négation de toute notre civilisation, c’est la négation de nos actes. Le peuple allemand était appliqué : il vivait en lui-même, était actif, montrait son génie inventif dans tous les domaines, travaillait de l’intelligence et du corps. Mais il y a des gens qui ne voulaient pas travailler et préféraient dormir sur leurs lauriers. C’étaient nos ennemis. »

Décidément, au présent et au passé, voilà le refrain : le mal, dans le monde, c’était et c’est l’ennemi. Le bien, c’est l’Allemagne; et comme le bien, c’est Dieu, l’Allemagne est divine; mais comme l’Empire allemand, c’est l’Empereur, il en découle, dans la logique spéciale de cette extravagance mystique, que l’Empereur est le bien et qu’il est une espèce de substitut; en jargon de là-bas, on dirait un ersatz de Dieu. Ils vivent tous deux face à face, le vrai et le faux, Dieu et l’Empereur, dans une intimité qui permet au second