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comportent tous une redoutable inconnue : c’est la vexata quæstio de l’incidence, l’une des plus difficiles et des plus complexes de la science économique. Le fisc désigne la personne imposée ou l’article taxé : mais comment l’impôt se répercutera-t-il, et qui le paiera en dernier ressort ? Ce n’est pas ici la loi du Palais-Bourbon qui est souveraine, c’est celle de l’offre et de la demande. Le Parlement a beau dire que telle contribution frappera tels contribuables, ce n’est pas lui, c’est la loi des prix qui décide si cette contribution va rester à leur charge ou sera répercutée, ou amortie, et dans quelle mesure : c’est elle qui, par exemple, permettra ou non, en tout ou en partie, au producteur ou au commerçant, de « mettre sa patente sur sa facture, » selon le mot de Franklin ; au salarié, de compenser la charge de l’impôt par une hausse de salaire ; au capitaliste, de reporter cette charge sur l’emprunteur éventuel par une élévation du taux de l’intérêt ; c’est elle encore qui, lorsqu’une taxe nouvelle vient frapper les valeurs mobilières, en réglera l’absorption ou l’amortissement, par une dépréciation du capital dont le porteur actuel souffrira seul, à l’exclusion de l’acheteur qui lui succédera.

Non pas que l’impôt finisse toujours par retomber sur tout le monde, comme on le dit parfois, par une diffusion à l’infini ; à part certaines taxes qui, comme les taxes successorales, ne peuvent être rejetées, et sauf le cas de l’absorption, sa tendance sera de se répercuter jusqu’à ce qu’il tombe en fin de compte sur le surplus de la production, sous réserve de l’« inertie » due au frottement économique. Il règne bien de l’obscurité encore dans ce jeu pratique de l’incidence, aussi variable que les prix dont il dépend. Comment se répercuteront nos impôts nouveaux, cédulaires et global ? L’expérience seule le dira. Ce qui est sûr, c’est que ceux-là en souffriront le plus qui n’ont rien à vendre ou à louer, ni produits, ni travail, ni épargne, les retraités, les veuves, les mineurs. Quant aux autres, bien des surprises sont possibles. La surcharge d’une classe peut avoir les effets les plus imprévus sur une autre, écrit M. Seligman, et l’impôt, comme instrument de représailles, agit souvent à la manière d’un boomerang[1]

Ainsi, comme toute justice humaine, la justice fiscale est

  1. Jeu américain consistant en un volant de forme telle que, lancé par une personne, il revient de son propre mouvement sur cette personne.