Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/694

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

justification de la progressivité à la vieille théorie de l’impôt-échange de services ou de l’impôt-assurance. On l’a cherchée ensuite dans le principe plus moderne de la capacité contributive (cette capacité étant supposée plus que proportionnelle au revenu), ou dans la loi des rendements croissants de la richesse, ou dans la notion du revenu net ou libre, opposée à celle du revenu brut. On l’a cru trouver enfin dans la conception nouvelle du sacrifice égal, proportionnel, ou minimum, ou plus scientifiquement dans la thèse de la décroissance graduelle de l’utilité finale des revenus, thèse que les Hollandais Bok et Cohen-Stuart ont appuyée de calculs fort intéressants, mais tout hypothétiques. Or, il est clair que l’idée de capacité contributive, comme celle du revenu net ou libre, est aussi incertaine et discutable que celle du sacrifice est sentimentale et subjective ; la loi des rendements croissants, d’ailleurs douteuse, est aussi peu apte que celle de la décroissance de l’utilité finale à se traduire autrement qu’en chiffres arbitraires ; et il est pour le moins étrange que, de ces mêmes idées ou lois d’où tels auteurs ont cru pouvoir conclure à la progressivité de l’impôt, tels autres aient pu tout aussi bien inférer sa proportionnalité ! Quant à la doctrine, allemande d’origine, des socialistes de la chaire qui voient dans l’impôt progressif un moyen de réduire l’inégalité naturelle des conditions, elle est étrangère à la justice légale, qui veut que l’Etat tienne la balance égale entre tous, elle est contraire à la fonction de l’impôt, qui ne doit être que d’ordre fiscal, elle est illusoire enfin, car le nivellement n’apporterait qu’une amélioration insignifiante au sort du plus grand nombre : tout esprit libéral la rejettera.

On trouve, il est vrai, hors du domaine des principes, un argument de fait en faveur de la progressivité dans la surcharge que certaines taxes de consommation font peser sur les classes pauvres, et qu’une certaine graduation des impôts directs peut être appelée à corriger, en vue de rétablir la proportionnalité dans l’ensemble du système fiscal. À ce titre de compensation spéciale, une progressivité modérée est d’ordinaire admise, comme facteur de redressement, même par les adversaires déterminés du principe : encore faudrait-il savoir dans quelle mesure il y a lieu à redressement, et du fait de quels impôts, et c’est où les plus savants auteurs sont parfois les plus embarrassés.