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sera faite. Elle ne vaut, on l’a dit, que « ce que valent les mœurs du pays où elle fonctionne et ce que vaut l’arbitre chargé de la contrôler. » Tout dépendra chez nous de savoir si noire administration fiscale saura se montrer « admirable, » et « admirable » aussi la conscience de nos concitoyens : puisse la politique financière de nos gouvernants ne pas mettre celle-ci à une trop rude épreuve !

Trouverons-nous plus de valeur objective ou doctrinale au principe de la progressivité ? On sait combien il a été discuté, avec quelle force il a été combattu par tant d’esprits libéraux qui l’ont dénoncé comme spoliateur ou socialiste. Oserons-nous dire que cette condamnation absolue nous parait quelque peu excessive ? Nous ne sommes plus à l’âge où Turgot, comme on lui soumettait un plan d’impôt progressif, écrivait, dit-on, en marge : « Il faut exécuter l’auteur, et non le projet. » Nous ne sommes même plus au temps où Stuart Mill appelait l’impôt gradué le « vol gradué, » — pourtant il l’admettait pour les successions, — où Proudhon le sophiste se jouait du « bilboquet » de la progression, ce « joujou fiscal, » « la plus absurde et la plus indigne des fourberies. »

Il ne nous suffit plus, pour juger le principe, d’arguer des abus d’ailleurs effroyables auxquels il a donné lieu à Florence, sous les Médicis. Confiscatoire ? Peut-être, mais tout impôt l’est plus ou moins, prenant aux uns pour donner aux autres ; c’est une question de mesure et non de principe. Socialiste ? En tout cas, il ne relève ni du collectivisme ni du communisme. Si les socialistes le soutiennent d’ordinaire, — il a chez eux-mêmes des adversaires, — c’est qu’ils y voient un mode plus équitable de répartition fiscale, bon pour attendre le grand soir de l’expropriation générale : pour eux, comme pour Karl Marx, ce n’est qu’une réforme « bourgeoise. » Qu’il puisse mener à la confiscation et au socialisme, nul n’en doute, mais cela suffit-il pour qu’on le taxe de socialisme ou de confiscation ? Un économiste italien, M. Masè-Dari, a pu soutenir qu’appliqué prudemment il serait la meilleure sauvegarde du régime capitaliste !

D’autre part, de toutes les théories imaginées pour le légitimer, — et Dieu sait s’il y en a[1] ! — nulle n’est satisfaisante en doctrine. On a commencé par demander, sans succès, une

  1. M. P. Suret les a récemment passées en revue dans un ouvrage fort documenté et intéressant, Théorie de l’impôt progressif, Paris (Alcan) 1911.