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dans le pays : pour notre part, là où l’expérience et le patriotisme de M.  Ribot ont hésité, nous n’aurions garde de juger ! On a invoqué l’exemple de l’Angleterre qui, dès le début de la guerre, a haussé fortement ses impôts ; mais les deux situations n’étaient en rien comparables[1]. En 1915, la perte moyenne sur le recouvrement des contributions s’élevait encore chez nous à 20 pour 100. Il y avait d’ailleurs une autre raison grave aux hésitations du ministre, c’est que toute proposition d’impôts nouveaux devait fatalement se heurter à l’esprit de parti, de lutte à outrance qui avait enflammé les querelles fiscales d’antan, c’est que ces querelles ranimées compromettraient l’entente entre les représentants de la nation, l’union dans le pays. À la guerre étrangère fallait-il ajouter la guerre fiscale ? La majorité de la Chambre n’avait en effet pas désarmé dans la question de la réforme des impôts : l’expérience, qui ne tarda pas, le fit bien voir.

Le premier heurt se produisit en décembre 1915. La question se posait alors de savoir quand entrerait en vigueur l’impôt global sur le revenu voté en juillet 1914 et dont l’application, d’abord prévue pour le 1er janvier 1915, avait dû être reportée au 1er janvier 1916 : le ministre des Finances demandait à la Chambre de l’ajourner d’un an encore, dans l’intérêt même de l’institution nouvelle qu’il fallait éviter de compromettre par une expérience faite dans les plus mauvaises conditions. La Chambre, envers et contre tous, exigea la mise en vigueur immédiate de l’impôt global ; et le résultat, c’est qu’au lieu des 80 millions escomptés en 1914, le rendement du nouvel impôt ne dépassa pas 35 millions, moins peut-être qu’il ne coûta à établir.

Six mois après, le choc fut plus grave et le tournant décisif pour l’avenir de la réforme fiscale. Au mois de mai 1916, M.  Ribot se résolvait à demander au Parlement la création de ressources nouvelles. En attendant l’achèvement ultérieur de notre nouvel édifice fiscal, il croyait sage de tirer parti des contributions existantes, auxquelles le pays est habitué et qui seules peuvent produire en temps de guerre des ressources appréciables ; il proposait donc de doubler les contributions directes (l’impôt des portes et fenêtres excepté) et les taxes

  1. Voyez notre étude sur l’Effort fiscal de l’Angleterre, dans la Revue du 15 novembre 1916.