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En fait, ces dix-sept hommes d’église n’étaient préoccupés que de bien servir le christianisme : on les accusait de déserter la cause de Genève, et l’on ne s’apercevait pas que, précisément, l’étroitesse même du reproche justifiait leur souci légitime de dissiper enfin, dans Genève, une confusion trop fréquente entre l’esprit religieux et l’esprit nationaliste.

Jusqu’à la dernière heure, les ennemis de la loi pensèrent vaincre. « Nous nous figurions, avouait plus tard M. le pasteur Ferrier, que Dieu interviendrait, qu’un miracle se produirait. » Au soir du 30 juin 1907, ce fut, pour M. Ferrier et pour la majorité protestante antiséparatiste, un moment de stupeur. Les catholiques et une minorité des protestants avaient la victoire. La séparation recueillait 7 653 voix, — contre 6 823 : elle était faite. Dans la ville même de Genève, elle n’avait groupé qu’une minorité : 1 589 oui contre 1 926 non : une fois de plus, le canton battait la ville, et le flot de voix émises par les anciennes communes savoyardes, où parfois 84 pour 100 des inscrits avaient voté, semblait submerger la colline sur laquelle les Genevois du Moyen Age avaient édifié Saint-Pierre. De ce jour-là, suivant la très heureuse expression d’un vieux Genevois dans le Journal de Genève, « c’en était fait de cette inégalité pénible qui semblait régner à Genève, entre deux valeurs de patriotisme : le patriotisme religieux des anciens Genevois, et le patriotisme simplement politique des populations nouvelles. »

« C’est une date, déclarait éloquemment Philippe Monnier, et en dépit du chagrin profond d’amis très chers, je crois que c’est une date heureuse ; Oui, bien sûr, tout un pan de passé s’écroule, d’un passé qui fut magnifique et souverain. C’est celui qui nous constitua devant l’Europe et devant nous. Il fit, d’une petite cité foraine, une petite citadelle de l’esprit et la capitale d’une idée. » C’est en ces termes grandioses que Monnier, dans la Gazette de Lausanne, esquissait l’oraison funèbre du peuple élu, ce mort de la veille ; mais il constatait qu’en réalité ce peuple était mort depuis longtemps, et il concluait avec sécurité : « Dimanche, un peu de vérité s’est accompli. »

Un peu de vérité : Monnier se plaçait, en parlant ainsi, au point de vue protestant ; on pouvait parler de même au point de vue catholique. Ce vote sapait, d’une irrémédiable façon, l’Eglise qui s’appelait catholique nationale, et qui n’avait jamais justifié ni l’une ni l’autre de ces épithètes.