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S’emparer du Consistoire : tel était le but auquel tendaient à Genève les libéraux. Un d’eux, Chantre, publia en 1872 un catéchisme dans lequel s’estompaient et disparaissaient les enseignements traditionnels critiqués par la nouvelle théologie. Bungener, dans une brochure, éplucha ce petit livre. Si c’est là l’Evangile, concluait-il avec fougue, retournons à Socrate.

Mais sans retourner à Socrate, la Compagnie des pasteurs, timide, consentait à l’introduction du nouveau manuel : le Consistoire, plus militant, s’insurgeait. Alors les membres libéraux du Consistoire démissionnèrent : des élections devinrent nécessaires, pour renouveler l’ensemble de ce corps. Genève fut invitée à vaincre 1’ « ultramontanisme protestant » comme elle avait vaincu l’ultramontanisme catholique. Un pasteur comme Bungener, grand ennemi de Rome, se voyait, du jour au lendemain, taxé d’en être le complice. L’Escalade était évoquée : en 1872 comme en 1602, disait une brochure, les Genevois sauront sauvegarder leur liberté. Les élections du 15 décembre 1872 amenèrent un Consistoire où les libéraux possédaient la majorité : ce fut au tour des orthodoxes de démissionner. L’Eglise de Genève avait l’air de craquer ; le prêche s’opposait au prêche ; et les deux partis se jetaient mutuellement ce reproche d’être inconsciemment les auxiliaires de Rome.

Mais à l’heure où s’échangeaient ces polémiques, les libéraux pouvaient exploiter contre leurs adversaires une force plus terrible que celle même de leurs négations, la force de l’Etat. Une alliance ingénieuse se nouait entre la théologie libérale et l’État radical, entre Chantre, le pasteur, et Carteret, le conseiller d’Etat. L’âme de Jean-Frédéric Amiel, fort étrangère à toute orthodoxie, subissait une sorte de répulsion devant ces compromissions politiques de la théologie nouvelle. « Le mot libéral, écrivait Amiel, avec son appel à la popularité et au scrutin, n’a plus ressemblé à la recherche désintéressée du vrai et à la persuasion sérieuse. Le nouveau parti théologique s’est enfilé dans une mauvaise venelle. » C’était le rêve d’Amiel, que le christianisme libéral se montrât plus saint et plus religieux que le christianisme orthodoxe ; et voilà que certains théologiens de cette école prenaient une allure de politiciens. Mais que faisait, dans ce fracas de bataille, la pensée d’un Amiel, indépendante et d’ailleurs sceptique ? On apprit bientôt qu’une loi se préparait, grosse de menaces. D’après ce projet, le corps pastoral