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Nouvron-Vingré, dans le canton de Vic-sur-Aisne, à quinze kilomètres au Nord-Ouest de Soissons, est le chef-lieu d’une commune qui vivait surtout d’agriculture et que la guerre a ruinée de fond en comble. Sur le plateau calcaire de Nouvron, il n’y a plus que des carcasses de maisons défoncées, une jachère bouleversée par le martelage des bombardements, un chaos de débris de toutes sortes, jonchant un sol perforé de cavités profondes, criblé de trous par les organisations défensives que l’ennemi, au cours d’une longue occupation, avait multipliées pour se mettre à l’abri.

La ligne de départ assignée à l’armée du général Mangin pour la contre-offensive du jeudi 18 juillet 1918 sur le flanc droit du dispositif allemand, allait de Nouvron-Vingré à Troesnes, dans le canton de Neuilly-Saint-Front, jalonnée par les villages de Fontenoy, Ambleny, Cutry, Saint-Pierre-Aigle, Montgobert, Longpont, Corcy, Faverolles. Sur ce front d’environ vingt-cinq kilomètres, une place d’honneur fut réservée aux Américains, alignés côte à côte avec des régiments qui sont l’élite de l’armée française. Lorsque, à quatre heures trente-cinq, après une nuit d’orage où les coups de tonnerre s’étaient mêlés à la canonnade, le signal de l’attaque fut donné, nos alliés s’élancèrent au combat avec une bravoure qui émerveilla tous les témoins de cette bataille. Grands, vigoureux, assouplis dès leur enfance par la coutume des exercices physiques et des sports difficiles, ces hommes, casqués d’acier, avaient retiré leurs vareuses de drap olive et retroussé leurs manches de chemise, comme pour mieux travailler. Bons ouvriers du glorieux chantier de la victoire, ils s’avançaient avec une admirable fougue de jeunesse, de belle humeur, de force corporelle et d’entrain moral. Le terrain offert à leur avance était détrempé par la pluie nocturne. Les vallées du Soissonnais, creusées par des pentes au profil régulier, ont un fond humide, au-dessus duquel s’étagent les bâtiments des maisons rustiques. Parfois un ruisseau grossi par l’orage de la nuit s’opposait à la marche de nos Américains. N’importe. Ils entraient dans l’eau jusqu’à la ceinture ou jusqu’aux épaules, élevant au-dessus de leurs têtes leurs fusils à baïonnettes courtes, et continuaient sans arrêt leur mouvement irrésistible. En les voyant ainsi traverser les rivières, et grimper d’une allure agile, malgré le poids de leurs vêtements mouillés, au versant de la-rive-opposée, les