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point de souri aux factionnaires qui les surveillaient, fusil chargé, baïonnette au canon. Seuls, les officiers montraient encore quelque arrogance. Toutefois, l’un d’eux, interrogé par un des interprètes de l’état-major, déclara :

— Nous ne demanderons pas la paix, tant que nous serons sur ce territoire. Mais, dès que vous aurez mis le pied chez nous, ah ! nous la demanderons tout de suite…

Et, précisant sa pensée, il ajouta :

— Nous ne voulons pas de la guerre chez nous.

La façon, en effet, dont ils la font chez les autres, doit leur inspirer, maintenant qu’ils se sentent bousculés vivement et forcés de rebrousser chemin, les sentiments qui résultent d’un retour sur eux-mêmes et de la crainte des effroyables responsabilités qu’ils ont encourues.

Nos Américains ne furent pas moins habiles à exploiter leurs succès par la ténacité de la poursuite qu’à les assurer par la vivacité de l’attaque.

— Ah ! me dit un soldat français qui revient de Fère-en-Tardenois, il fallait les voir à Epieds !

Epieds, village situé dans la Brie champenoise, appartenait jadis au bailliage de Château-Thierry. C’est aujourd’hui le modeste chef-lieu d’une commune rurale, fière cependant de posséder un château, qui s’appelle Moucheton et qui appartient au vicomte de La Rivière. Les historiens de la France et de l’Amérique parleront de ce village, lorsqu’ils feront le récit détaillé des opérations d’où résulta la seconde victoire de la Marne. C’est là que, dans les heures mémorables du 22 juillet 1918, les Américains arrivèrent littéralement sur les talons des arrière-gardes ennemies. Ce fut un combat acharné, dans les rues et ruelles du village, avec de terribles corps à corps. L’artillerie allemande essaya d’enrayer la poursuite des Américains en dirigeant un violent tir de barrage sur l’espace découvert qu’il faut franchir, à droite et à gauche du village d’Épieds, pour atteindre la ligne des crêtes. Vains efforts. Le général commandant la division américaine sut prendre toutes les dispositions utiles à son dessein, ne craignant pas, en cas de nécessité absolue, d’ordonner un temps d’arrêt ou même un léger repli à ses troupes merveilleusement ardentes et entraînées. C’est ainsi que, par une habile manœuvre, qui dénote un rare sens- des conditions tactiques de la victoire,