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peuvent intéresser les Français restés en territoire occupe. Sous le prétexte de venir moralement en aide aux familles des soldats prisonniers et aux « envahis » restés sans nouvelles de ceux qui avaient pu fuir à temps l’invasion, la Gazette poursuivait sa campagne de calomnies systématiques, de fausses nouvelles destinées à provoquer chez nos malheureux compatriotes le découragement le plus profond. Par exemple, les bombardements par avions de Compiègne et de Paris étaient présentés de façon à laisser croire à une avance considérable des armées allemandes. Les informations étaient toujours exactes en ce qui concernait les événements d’ordre privé, toujours mensongères quant aux grands incidents de guerre. Mais d’instinct, les Français ont vu clair dans le jeu de l’ennemi et déjoué ses calculs en gardant leur foi intacte.

Le 6 octobre 1915, la Gazette des Ardennes annonce qu’elle va paraître trois fois par semaine. Elle fait éditer à Charleville une brochure contenant les « meilleurs » articles qu’elle ait publiés. L’effet sur les populations est nul : il est temps de trouver autre chose. Le 5 décembre suivant, une rubrique nouvelle est introduite : c’est la gazette régionale, rédigée, annonce-t-on, par les abonnés et les lecteurs eux-mêmes et dont l’ensemble constituera un tableau réduit des principaux événements survenus dans chaque localité. Une pression toute prussienne s’exerce sur les maires des communes, sur les notables des bourgades les plus importantes pour qu’ils consentent à une collaboration effective. On leur fait comprendre clairement ce qu’on attend d’eux : ils devront envoyer à la Gazette des Ardennes des comptes rendus tendancieux et répéter sans relâche que les populations envahies acceptent avec reconnaissance les bienfaits de la domination allemande.

Le 22 mars 1916, une autre rubrique est créée. Elle s’appelle : le Coin du cultivateur, et le pédantisme allemand s’y donne libre carrière. Il est bien évident que nos paysans ne savent pas cultiver la terre ; aussi la Gazette des Ardennes va-t-elle leur enseigner l’art d’utiliser les déchets de ménage comme engrais, et la bruyère comme fourrage.

Quinze jours après cette dernière innovation, le 5 avril 1916, la Gazette annonce qu’elle paraîtra désormais quatre fois par semaine. Près de cent mille exemplaires sont distribués dans les régions envahies, en Suisse, en Hollande et jusqu’en