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Aujourd’hui, nous sommes allés chasser dans une belle vallée, telle qu’on eût dit qu’on l’avait créée exprès pour le spectacle. Tous les cerfs étaient poussés dans la vallée boisée du Tessin et forclos de chaque côté par les chasseurs, de sorte qu’ils étaient forcés de passer la rivière à la nage et d’escalader les montagnes où les dames les attendaient, de dessous la pergola et ses tentes vertes dressées sur la colline. Nous pouvions voir tous les mouvements des animaux, le long de la vallée et sur le versant des montagnes où les chiens les poussaient à travers la rivière. Mais deux seulement grimpèrent sur le coteau et disparurent à l’horizon, en sorte que nous ne les vîmes pas tuer, mais don Alfonso et Messer Galeazzo leur donnèrent la chasse et réussirent à les blesser. Ensuite, vint une biche avec son petit, mais on ne permit pas aux chiens de les poursuivre. On leva beaucoup de sangliers et de chevreuils, mais un seul sanglier fut tué sous nos yeux et un seul chevreuil, lequel m’échut en partage. Le dernier qui vint fut un loup, qui fit des bonds magnifiques en l’air ; il passa devant nous et amusa toute la société, mais aucune de ses ruses ne sauva la pauvre bête, qui bientôt eut le sort de ses camarades. Et ainsi, avec de grands rires et en nous amusant fort, nous retournâmes à la maison pour finir la journée en soupant, afin de faire partager au corps les récréations de l’esprit.


La chasse est aussi une bonne occasion de farces et de mystifications. Ces seigneurs du XVe siècle n’étaient point également compliqués, ni exigeants dans tous leurs appétits. Il leur fallait beaucoup de choses pour se venger, mais peu pour se divertir. Quelques mois après cette expédition, Isabelle d’Este étant retournée chez elle, à Mantoue, Ludovic le More lui écrit :


Chère et très illustre et excellente dame, vous savez quelles bonnes parties nous faisons dans les chasses au sanglier, auxquelles vous avez assisté l’été dernier. Le pauvre Mariolo (bouffon de la Cour de Milan), dont vous vous souvenez, n’a pas pu y prendre part, d’abord parce qu’il était malade à Milan et plus tard parce qu’il a été chargé de tenir compagnie à ma femme durant sa maladie et il a été très marri d’être absent lors de ces expéditions, lorsqu’il a appris que les ambassadeurs du Roi, eux-mêmes, avaient blessé un sanglier. Il nous a dit quelles grandes choses il aurait faites s’il avait été là. Maintenant que ma très chère femme va mieux et commence à pouvoir sortir, j’ai pensé que nous pourrions nous divertir un peu à ses dépens. Quelques loups et quelques chevreuils ayant été chassés dans un bois près de la Pecorata, qui est, comme vous le savez, non loin de la Sforzesca, le cardinal Sanseverino a fait enfermer un