Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lande fleurie ou le long des rivières, le dridrillement des grelots accordés à un demi-ton, les aboiements, les sifflets, les cors ; puis le départ du gibier, le jet du faucon aux profondeurs du ciel, sa retombée sur sa proie, l’écart brusque de l’oiseau chasse, qui évite ainsi le bolide vivant, la remontée du chasseur, le duel en l’air de l’oiseau noble et de l’oiseau charognier, les plumes éparpillées sur le nez des badauds, les feintes, les virevoltes, la poursuite à terre enfin, la galopade au lieu de la chute, la mêlée des chiens et des oiseaux sur la victime, le poing tendu pour que le gerfaut descende s’y poser, ou les leurres tournoyant aux mains des fauconniers comme des frondes, jusqu’à ce que le faucon harassé, sanglant, déplumé, à bout de souffle, son petit cœur battant, revienne à son maître : que l’on compare tous ces gestes en extension, et qui font jouer un à un tous les ressorts de la machine humaine, avec le geste court, rentré, du chasseur qui épaule ou, le dos rond sur la sellette, qui attend le passage de la volaille effrayée par des rabatteurs en blouse, et l’on verra tout ce que le fusil a fait perdre à la chasse de variété, de couleur, de mouvement.

Même la chasse à courre aujourd’hui ne peut se comparer à la vénerie de la Renaissance. L’habit uniforme qu’on endosse, le peu de monde qu’on met en train, la banalité des armes et des auxiliaires qu’on emploie, pour forcer ou prendre la bête, ne sauraient évoquer l’éblouissant cortège de ces seigneurs qu’on voit, au Riccardi ou à la Schifanoia, costumés selon leur rang et leur pays, armés de toutes sortes d’engins curieusement ciselés, dont les gaines même étaient des merveilles d’art, avec leurs piquiers, leurs cranequiniers ou arbalétriers et les porteurs de stambecchina, et leurs écuyers à cheval ayant en croupe, sur de petites plates-formes, les léopards tachetés ou guépards ; — d’où ce spectacle : le fauve déchaîné se jetant à terre, et après deux ou trois bonds saisissant le fièvre ou le chevreuil, tandis que les valets se précipitent, une sébile pleine de sang à la main, pour lui l’aire lâcher prise : — tout un luxe barbare et raffiné qui n’a plus, chez nous, son équivalent esthétique.

Or, c’est là ce que voyait tous les jours Béatrice d’Este. La cour de Milan y était fameuse. C’est là qu’on avait, pour la première fois, enrôlé des léopards dans les équipages de chasse. C’est là qu’on fabriquait le mieux les sonnettes, jets, virevelles