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uniforme vert et rouge, avec d’énormes crevés tout autour des épaules et la longue tresse roulée en queue et emmaillotée de blanc. Vues de dos, on eût dit une assemblée de Chinois. Mais cette uniformité était rare. D’ordinaire, ce qui régnait, c’était la diversité : diversité de formes et antithèse de couleurs, non seulement entre les toilettes différentes, mais dans la même toilette entre ses différentes parties, arlequinade fréquente, goût du mi-parti poussé jusqu’à la manie. Les manches presque toujours indépendantes du corps et d’une couleur tranchante, le tissu de la chemise apparaissant par les petites ouvertures appelées stricce ou sbuffi, les galons, les tresses, les blasons ou devises appliqués sur le fond de l’étoffe, l’or enfin, tirant l’œil, réfléchissant la lumière avec des effets de majoliques persanes ou d’ostensoir, et les rubans d’une autre couleur se déroulant à l’air et tombant jusqu’aux pieds, prêtaient à toutes sortes de fantaisies individuelles et d’excentricités.

Un autre élément de variété, à cette époque, était l’application de motifs brodés : devises, emblèmes, blasons, parfois notes de musique, sur le fond des robes. On peut en voir un singulier et magnifique exemple dans un tableau du musée de Bruxelles, tiré d’une église de Bruges : des saintes martyres, groupées dans un jardin délicieux autour de la Vierge et de l’Enfant, en grands habits de cérémonie. C’est une œuvre de la fin du XVe siècle, dans la manière de Memling et de Gérard David. L’artiste a imaginé que chaque sainte, une fois admise au Paradis, a endossé une toilette éblouissante de luxe, sur laquelle on voit figure, maintes fois répété, comme un motif ornemental, l’instrument de son martyre : des roues pour sainte Catherine, des tours pour sainte Barbe, faites de perles brodées sur le fond ou d’un tissu d’or appliqué en soutaches. Idée ingénieuse et touchante : l’instrument du supplice sur la terre devenant l’ornement du triomphe dans le ciel, c’est-à-dire l’épanouissement en délices spirituelles des peines endurées ici-bas.

Sans doute, les motifs qui décoraient les robes des belles Milanaises, au même moment, n’étaient point d’un symbolisme si profond, ni si austère, mais tout autant ils étaient intentionnels et prémédités. Les tours du port de Gênes, les compas, les caducées, les chaînes, les notes de musique voulaient dire quelque chose. Politique, guerre ou paix, alliances, conquêtes,