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« toujours » eût l’air de durer quelque temps, il voulut que la séparation reçût la consécration de l’Eglise et l’éclat d’un mariage. D’ailleurs, la Gallerani venait de lui donner un fils ; les convenances voulaient qu’il lui donnât un mari. Il choisit, pour cet office, un des plus nobles gentilshommes de sa cour, le comte Lodovico Bergamini, de Crémone, qu’il combla de faveurs et qu’il installa, avec la belle comtesse, au palais Carmagnola ou dal Verme, alors le plus beau de Milan, décoré à neuf par les meilleurs artistes du temps, — digne cadre à la beauté chassée de la Rocchetta. Elle y vécut et y survécut, heureuse, à tous ceux qui la chassaient. La foule, qui passe aujourd’hui via Rovello, devant le palais de l’Administration des Finances, ancien palais Carmagnola, ne pense guère à la déesse païenne dont ce fut le temple et n’y trouverait guère trace des splendeurs d’antan. Mais notre petit masque dut le regarder plus d’une fois avec complaisance, comme le monument de sa première victoire remportée sur son mari.

Ce n’est pas la seule. Le bonhomme va de surprise en surprise. Il découvre, d’abord, en elle, une écuyère accomplie. Son éducation, à Ferrare, avait été surtout sportive. L’équitation était en grand honneur à la cour d’Este, les courses continuelles. Le maître des écuries allait, jusqu’en Angleterre, chercher des sujets choisis pour améliorer la rave. L’émulation était entretenue par la concurrence des fameux haras de Mantoue. Béatrice est mise de fort bonne heure sur un cheval ; après son mariage, elle continue de monter presque tous les jours. Et ce n’est point, là, parade au carrousel. Dans une chasse au loup, elle fait trente milles sans s’arrêter, semés de mille obstacles, toujours franchis aisément. Le 16 mai 1491, le More écrit à Isabelle d’Este qu’il regrette qu’elle ne soit pas avec lui à courre le loup et montrer ses talents. « Bien que tel soit le courage de l’illustre duchesse, ma femme et votre sœur, que je ne sais comment vous ferez pour la surpasser… » Ces chasses sont semées de dangers : peu lui chaut. Une fois, un cerf poursuivi et effrayé s’est rué sur son cheval, lequel s’est levé tout droit quanto é una bona lanza, mais elle n’est pas tombée : son mari et les autres accourant, morts de peur, la trouvèrent qui riait aux éclats, bien que le cerf l’eut frappée à l’épaule. Une autre fois, un sanglier découd des lévriers : elle pousse droit au monstre et le frappe comme un vieux chasseur. Elle s’exerce