Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/489

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le mouvement est trop : ce qui convient à un portrait, c’est la vie. Ce marbre en est plein. Nous ne savons rien de cette gamine, et nous la devinons, déjà, lieta di natura e piacevolina, comme la jugera son mari, vive, impétueuse, pas bête, mais point transcendante, plutôt garçon que fille, avec l’air de se tenir à quatre pour ne pas donner sa démission de statue et s’en aller danser la pavane ou la mazzarocca.

Il n’y a pas seulement, ici, de la vie : il y a du mystère. Que veut dire cet anneau avec son chaton de diamant taillé en pointe, prisonnier des libres d’un volubilis stylisé, et que font, à l’intérieur du cercle nuptial, ces deux mains coupées à la manière des mains qu’évoquent les médiums ? Pourquoi tiennent-elles un linge, et qu’est-ce que cette poussière qui tombe de ce linge dans le calice grand ouvert d’une fleur dressée pour la recevoir ?

Ce que nous savons, c’est que le diamant taillé en pointe désignait les d’Este : leur cri de guerre était Diamante ! Nous savons aussi qu’un linge tenu par deux mains et représentant un bluteau désignait le fiancé de Béatrice d’Este, Ludovic le More. Il portait, cinq ans avant ce buste, une toque ornée d’un buratto. Nous savons enfin que, à cette époque, on soupçonnait déjà le mystère de la fécondation des fleurs. Nous n’en savons pas davantage, sinon que les artistes aiment à broder le tissu du réel avec du rêve et que ce sont de grands fantaisistes. C’est ce que les savants ignorent ou ce qu’ils oublient. Ils veulent qu’un motif décoratif signifie toujours quelque chose et ils veulent qu’il signifie toujours la même chose, — deux postulats fort arbitraires. Entre les mains des artistes, les symboles sont comme une belle amphore que se lèguent les générations et où chacun met sa liqueur préférée. Parfois même il n’y met rien du tout et ne la conserve que pour la beauté extérieure de la forme. Avec le temps, on oublie ce qu’elle a contenu. Pourtant, un parfum lui reste, irritant et subtil, par où notre curiosité soupçonne, sans le voir de façon précise, de quoi nos pères se sont abreuvés. Ainsi, devant l’anneau de Béatrice d’Este, imaginez ce que vous voudrez. La pensée de la Renaissance est assez vaste pour contenir toutes nos hypothèses : ce sera notre seule chance de nous rencontrer avec l’artiste qui, d’un ciseau subtil, en a creusé, il y a quatre cent trente ans, le souple contour.