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Ce n’est pas seulement au Muséum qu’on éprouve cette impression : c’est aussi, quelquefois, au Musée.

Il y a, au Louvre, une salle remplie de pierres qu’on pourrait appeler « la salle des Météorites. » C’est, au rez-de-chaussée, au bord de l’eau, la salle dite « de Michel-Ange, » reconnaissais à ce qu’elle communique avec la suivante par la gigantesque porte de Cristoforo Romano, prise à Crémone au palais du Marchesino Stanga. Elle est remplie de bustes italiens du XVe et du commencement du XVIe siècle : vieillards rusés et ridés, femmes futées et ambiguës, guerriers insolents, génies douloureux et pensifs, — chefs-d’œuvre de Benedetto da Majano, de Cristoforo Romano, de Laurana. Or, ces masques, vieux de quatre cents ans, sont animés d’expressions toutes modernes, comme si leurs modèles vivaient parmi nous. Il n’y a pas, là, de types impersonnels, comme au musée des Antiques : chaque trait souligne une passion, ou un penchant, ou une énergie, ou une inquiétude que nous avons vus soulignés ainsi chez des contemporains.

Ces âmes étaient donc vraisemblablement faites comme nos âmes… Pourtant, leurs actions furent autres. Qui, de nos jours, à l’insolence de se bâtir un palais comme celui de ce vieux Strozzi ? De trahir et de massacrer comme ce Roberto Malatesta, et, mieux encore, comme son père Sigismondo ? Qui se meut, dans l’art et dans la guerre, dans la passion et dans la poésie, comme ce Michel-Ange ? Qui fait tenir toute une vie de luxe, de fêtes, de voyages, de diplomatie, entre la quinzième et la vingtième année, comme cette Béatrice d’Este ? Ce sont, là, des témoins d’un monde si parfaitement disparu, si loin de nous, qu’on doute qu’il ait réellement existé. Il semble qu’ils respiraient une autre atmosphère, qu’ils croissaient plus vite, qu’ils se manifestaient plus loin, qu’ils visaient plus haut, qu’ils tombaient plus bas. Leur indice physiologique nous trompe-t-il ? Et devons-nous croire qu’ils étaient constitués autrement que nous, avec d’autres ambitions et d’autres rêves ? Ou bien, l’étaient-ils de même, désiraient-ils les mêmes choses, seulement aux prises avec d’autres conditions de vie ? Où s’arrêtent les analogies ? Où les dissemblances commencent-elles ? Interrogeons un de ces bustes : peut-être il nous le dira.