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l’armée alliée, est particulièrement visée par la conception allemande, et puisque, d’autre part, dans la conception du haut commandement français, cette armée doit former le centre de la masse de manœuvre, ce sont les opérations de cette armée qui importent le plus : selon que l’armée britannique se sera laissé déborder par l’armée von Klück ou qu’elle aura échappé, selon qu’elle sera ou non en position à l’heure des rencontres décisives, l’une ou l’autre des manœuvres réussira ou échouera.

La situation du maréchal French est vraiment des plus critiques : il s’en est expliqué lui-même avec une parfaite loyauté. Il-n’a qu’une pensée, d’ailleurs profondément juste, c’est de conserver à l’Angleterre l’armée, l’unique armée qui peut permettre à cette puissance d’en encadrer d’autres et de continuer à prendre part à la lutte. Ce qu’il craint par-dessus tout, c’est de se laisser prendre à un piège de l’ennemi qui l’attarderait sur une position où il courrait le risque d’être cerné. Voici ses propres paroles : « Les essais réitérés de l’ennemi pour tourner mon flanc me prouvaient son intention de m’acculer à cette place (il s’agissait alors de Maubeuge) pour m’y cerner. Je sentis qu’il n’y aurait pas un moment à perdre pour me retirer sur d’autres positions… Considérant la retraite ininterrompue des Français à ma droite, mon flanc gauche exposé, la tendance de l’ennemi (IIe corps) à m’envelopper et, plus que tout, l’épuisement de mes troupes, je me décidai à faire encore un grand effort pour continuer ma retraite jusqu’à ce que je pusse mettre entre mes troupes et l’ennemi un obstacle important comme la Somme ou l’Oise et leur accorder, avec un peu de repos, la facilité de se réorganiser. Les ordres furent donc envoyés aux chefs de corps de poursuivre leur retraite aussitôt que possible, vers la ligne générale Vermand-Saint-Quentin-Ribemont. »

French sentait von der Marwitz et von Klück sur ses talons ; il se savait hors d’état de résister à une attaque puissante. Donc, avant tout, échapper : le vieux soldat d’Afrique voulait avoir de l’espace devant lui.

L’exécution de ce projet fut réalisée en deux temps : une période de combats où, malgré sa hâte, l’armée anglaise fut encore rejointe par de puissantes avant-gardes ou même des corps allemands et dut livrer bataille, à Landrecies et au Cateau, pour se dégager ; et une période de marches où les