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Foch, qui ne dort jamais, parcourt en éclair toute la ligne, et ses doigts au tact subtil se promènent d’un bout à l’autre de la carte. Honneur donc à tous nos généraux! Honneur à Foch, ce grand artiste militaire dont on sent partout l’admirable maîtrise, et qui vient de nous promettre « la poursuite implacable de l’ennemi. » Et honneur enfin à l’homme d’État qui « fait la guerre, » comme il l’a si bien dit, et qui la fait si bien, et qui ne fait que cela, et qui, hier encore, à la séance de rentrée de la Chambre, a célébré si dignement « nos soldats, nos grands soldats, les soldats de la civilisation! » Vrai symbole de la volonté française, M. Clemenceau aura été l’un des principaux artisans de cette « victoire d’humanité. »

Aimons-nous mieux des chiffres que des phrases, même drues et pleines, comme celles des communiqués? On nous en a fourni hier, à la lecture desquels il n’est pas, chez le neutre le plus obstinément neutre, d’esprit si hésitant que sa conviction ne soit faite. C’est un neutre ami, mais un neutre de Suisse, le colonel Feyler, qui, dans le Journal de Genève, a écrit, à propos du recul allemand, le mot de « déroute, » que chez nous on n’a pas écrit. Les autres, qui ne sont pas des amis, les Égli, les Stegemann eux-mêmes, sont émus. Il y a de quoi! 128 302 prisonniers (dont 2 674 officiers), 2 069 canons, 1 734 minenwerfer, 13 783 mitrailleuses, une quantité considérable de munitions, des approvisionnements et du matériel de toute nature, au tableau de nos prises, du 15 juillet au 31 août (les Anglais, le 5 septembre, annonçaient 16 000 nouveaux prisonniers en quatre jours) : c’est le signe visible et tangible, c’est la preuve mathématique de la victoire. Eh ! bien, objectera encore quelque entêté, les Allemands, en Orient et en Occident, en ont fait, plusieurs fois, autant ou davantage. Mais nous sommes à la cinquième année de la pierre. Le réservoir des empires du Centre baisse irrémédiablement, tandis que chaque jour l’afflux américain alimente le nôtre, jusqu’à ce qu’il soit rempli et qu’il déborde. 100 000 hommes perdus par nous sont 100 000 hommes aussitôt remplacés; 100 000 perdus par les Allemands sont 100 000 hommes dorénavant irremplaçables. Ce qui donne à notre bilan toute sa valeur, c’est sa date.

L’aveugle Allemagne entrevoit une lueur pale et rouge. Systématiquement nous refusons les témoignages, si chargés de vérité qu’ils puissent paraître, qui ne sont pas des témoignages officiels. Nous négligeons les aveux, les informations, les confidences, peut-être sincères, peut-être fausses, des gazettes. Il serait pourtant divertissant de les suivre d’édition en édition dans leurs versions tournantes