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dégagé tout le contenu. Pour qu’il y eût surprise totale, il fallait que rien ne pût déceler la préparation de l’attaque. Les indices sont de deux sortes : d’abord le transport du matériel, ensuite la présence des divisions de choix. Pour le premier, il fut résolu en partie par un équipement général du front qui ne révélait nullement son dessein particulier, — c’est ainsi que des camps d’aviation et des terrains d’atterrissage furent installés partout, — ensuite, par des mesures de prudence inouïes que la terrible discipline allemande permettait d’appliquer. Le transport du matériel et des munitions, les travaux d’aménagement et de mise en place, s’exécutèrent de nuit. Pendant le jour, aucune activité. Des toiles camouflées cachaient les pistes nouvelles, les emplacements de batteries ou de mitrailleuses. À ces précautions d’une sévérité minutieuse s’en ajoutaient d’autres. Les réglages d’artillerie se firent successivement, de peur que la densité du feu ne vînt à trahir la présence de pièces nouvelles. Dans chaque secteur il fut prescrit de ne pas augmenter le nombre de coups de canon. Le but poursuivi étant surtout le tir de zone par obus toxiques, destiné à neutraliser les défenseurs, il n’était pas nécessaire d’arriver à une extrême précision. La date et le lieu de l’attaque, connus seulement de l’Etat-major, restaient ignorés des troupes et même de leurs cadres.

Quant à l’arrivée des unités de choc, elle avait lieu au dernier moment. Groupées à 100 ou 120 kilomètres du front, ces troupes se rendaient à destination par des marches de nuit. Pendant le jour, cantonnées dans les bois ou dans les villages, elles restaient au repos absolu. Aucun mouvement, aucune agitation inusitée ne devait les trahir au regard des avions. La veille de l’attaque seulement, les divisions de qualité médiocre qui tenaient le secteur étaient remplacées par les divisions de choc.

Le dispositif en demi-cercle du front occidental favorisait singulièrement ces mesures. Alignées sur la transversale Mézières-Hirson, les divisions de manœuvre allemandes pouvaient se jeter dans un temps relativement égal sur un point quelconque, depuis la mer jusqu’à la Champagne. Surveiller un aussi large rayon est une tâche ardue qui affaiblit l’attention. Les Franco-Anglais, en outre, placés à l’extérieur de cette ligne courbe et obligés de se tenir prêts à porter leurs réserves sur le point attaqué, disposaient de voies moins directes que les routes de l’ennemi allant du centre à la périphérie. Enfin