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plus dense que ceux dont elle a usé jusqu’à ce jour. Mais toujours prudente, elle dissimule son dessein de revenir à la guerre de mouvement, en visant un objectif précis. — La quantité allemande comme la qualité française devaient rester également inefficaces. Après quatre mois de combats gigantesques, les Allemands avaient acquis 13 kilomètres de terrain en profondeur et perdu 500 000 hommes. Verdun, objectif assez rapprocha cependant, dont la possession ne pouvait offrir qu’un résultat moral, leur échappait totalement.

En réalité, le problème apparaissait moins simple qu’on ne l’avait cru. Malgré leur puissance, les canons ne pouvaient pulvériser qu’une zone de fortifications limitée par leur portée. Derrière la position anéantie, une autre position se dressait intacte. Et rien n’empêchait le défenseur d’ajouter, au fur et à mesure de l’avance ennemie, des barrières nouvelles pour remplacer celles qui venaient de tomber. L’assaillant, qui chaque fois se trouvait dans la nécessité de rapprocher son artillerie pour recommencer le travail de destruction, laissait ainsi à son adversaire le temps d’amener ses réserves et de pousser des travaux. C’était la bataille des Danaïdes. La méthode aboutissait seulement à creuser une poche plus ou moins profonde dans la ligne ennemie, au prix de quelle dépense de munitions, de quelle usure de matériel et de quels sacrifices ! Dans ces conditions, que pouvait-on espérer ? Tout au plus, approfondir suffisamment la poche pour que l’adversaire fût obligé de se replier sur toute la ligne dans la crainte d’être coupé. Il ne s’agissait plus, en effet, de tourner l’armée adverse par des feintes savantes, de la manœuvrer selon les lois de la stratégie et de la détruire en la prenant entre deux feux. Car, devant ces fronts sans ailes, on n’avait que la ressource de l’attaque frontale, la plus meurtrière de toutes, la moins féconde en avantages. Enfoncer la ligne sur un point bien choisi et provoquer ainsi le recul général de toutes les positions ? Encore ce but était-il du domaine de l’abstraction. Où trouver sur un aussi vaste espace, à travers les sinuosités d’un front stabilisé en fin de combat, au petit bonheur, un point tellement sensible que sa perte pût compromettre la sécurité de l’ensemble ?

D’autant que les belligérants voyaient tomber peu à peu toutes leurs illusions. Le jeu guerrier n’avait plus de règles. Le combat durait tant qu’un des adversaires n’était pas