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pour lui, l’opération principale. Mais il avait des raisons pour ne pas insister : l’allusion ne fut comprise que de quelques initiés. Sans essayer de percer la pensée de l’État-major, l’opinion accepta l’affaire de Guise comme heureuse pour nos armes et d’un bon augure : c’était la première fois qu’on obtenait un succès dans l’Ouest, et cela remontait le cœur.

En réalité, la bataille de Guise Saint-Quentin (qui s’appellerait beaucoup plus exactement la bataille d’Oise-et-Somme) fut tout autre chose qu’un heureux incident tactique, un coup de boutoir habilement assené à l’ennemi et lui causant de lourdes pertes : ce fut le premier acte du grand drame stratégique que le général Joffre avait monté et dont il avait dicté le schéma dans l’Instruction générale du 25 août, 22 heures. L’opération, quoique particulière encore, est déjà de grande envergure ; elle inaugure la défense du territoire français, au lendemain des batailles de Belgique. Si, par suite de circonstances que nous allons exposer, elle ne parvint pas à protéger le massif de Coucy-Saint-Gobain, boulevard de Paris, elle contribua certainement à détourner l’ennemi de la capitale et, par conséquent, à sauver Paris lui-même.

Notre grand Etat-major, ayant repris, rien que par le fait qu’il la livrait, la maîtrise des événements, n’eut plus qu’à attendre l’heure de la bataille de la Marne pour sauver la France.


Les trois termes étroitement liés de cette opération stratégique sont, comme d’ordinaire, le terrain, la manœuvre et l’événement.


I. — LE TERRAIN

Pour un ennemi venant d’Allemagne et occupant la Belgique, la frontière française se présente sous la forme d’une ligne à peu près droite, — sauf la saillie de Givet, — tirée franchement du Nord-Ouest au Sud-Est, depuis Dunkerque jusqu’au Donon.

La nature du terrain divise cette ligne en trois secteurs : un secteur Sud, de Sedan au Donon ; il présente une orographie haute et dense, labourée de cours d’eau, obstruée de montagnes, de collines et de forêts ; le bassin de la Meuse, coulant