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inconscientes de l’âme populaire. Non, les cathédrales furent l’œuvre d’une élite, — un chapitre de moines ou de chanoines, la plupart du temps étrangers, qui avaient à leur tête un homme, — un évêque ou un abbé énergique et intelligent, ayant l’instinct du faste ou de la beauté.


Parmi ces sanctuaires de Cerdagne, le plus célèbre est assurément celui de Font-Romeù. Du moins, c’est le seul qui soit encore vivant, où les foules continuent d’accourir à de certaines dates solennelles de l’année.

Son histoire est celle de tous les autres pèlerinages catalans. Comme à Err, comme à Planés, à Eyne, à Nuria, une madone fut ici « inventée » par un bouvier. Le taureau qui guida le pâtre vers sa découverte figure toujours à côte de la Vierge sur les images pieuses qui la représentent. Mais, chose étrange, cette Vierge miraculeuse n’habite pas le lieu du miracle. Les gens d’Odello, — petit village très ancien, puisque son église remonte pour le moins au XIe siècle, — les gens d’Odello s’en emparèrent, sous prétexte que Font-Romeù se trouve sur leur territoire. La madone dite de « l’Invention » trône sur le maître-autel de leur église paroissiale, au-dessus du tabernacle. Elle appartient à cette étrange tribu de Vierges carolingiennes qui peuple la plupart des églises et chapelles de la région cerdane. Cette Reine de grâce, on ne peut pas dire vraiment qu’elle soit belle. De même que toutes ses sœurs, elle est assise sur une sorte de siège curule semi-circulaire, drapé et garni d’un coussin. Elle a une rude figure de paysanne, avec un gros nez légèrement écrasé et une bouche de travers. L’enfant Jésus a l’air d’un petit Africain crépu, au front bas et aux larges oreilles. Il lève la main pour bénir, avec un geste si farouche qu’il semble plutôt lancer l’anathème. Mais tout cela disparaît sous les plis d’une ample draperie brochée de guirlandes et surchargée d’ex-votos. Cette longue jupe à l’espagnole qui affuble la mère et l’enfant, les couronnes rayonnantes qui chargent leurs têtes, les bouquets qu’on a mis dans leurs mains empêchent qu’on distingue l’attitude et la forme réelles de la statue. Elle en est modernisée et les rudes traits des visages en sont comme adoucis.

C’est cette somptueuse effigie que l’on transporte à date fixe