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« Mon cher monsieur Buloz,

« J’ai encore bien des remerciements à vous faire, pour l’empressement que vous m’avez montré dans mon grand embarras. L’avoué de Me Paillet a été chez moi lundi, il m’a dit qu’il mettrait l’affaire en train. Comme il me disait qu’il vous verrait, je l’avais chargé de vous prier de vouloir faire mettre quelques lignes sur cette affaire dans les journaux, en indiquant tout simplement que M. Henri Heine a intenté un procès à M. Lecou, pour avoir réimprimé à son insu et sans permission les Reisebilder

« Votre tout dévoué,

« Henri Heine. »


Henri Heine eut, lui aussi, entre les mains, le fameux album de Mme F. Buloz, qu’illustrèrent Vigny et les autres poètes du temps. Voici la poésie qu’il y transcrivit. La même page contient le texte allemand écrit à la plume, et la traduction française au crayon.

« Mademoiselle bonne Fortune est une fille légère, elle n’aime pas à rester en place ;

« De sa douce main, elle écarte les cheveux de ton front, y pose un baiser et s’envole.

« Madame Infortune, au contraire, est une personne bien posée et t’enlasse (sic) de ses bras avec passion ;

« Elle dit qu’elle n’est pas trop pressée, elle s’assied à côté de ton lit, et se met à tricotter (sic).

« Henrich Heine.

« Moribond connu sous le nom de Henri Heine[1]. »


Heine, dans les années les plus cruelles de sa vie, les dernières, — badinant sans cesse, plaisantant de ses maux, se moquait d’eux, de lui, et de tous ; il arrivait parfois à donner le change. « Je suis adonisé à l’heure qu’il est, jusqu’au squelettisme. Les jolies femmes se retournent quand je passe dans les rues ; mes yeux fermés (l’œil droit n’est plus ouvert que d’un huitième), mes joues creuses, ma barbe délirante, ma démarche chancelante, tout cela me donne un air agonisant, qui me va à ravir ! Je vous assure, j’ai dans ce moment un grand succès

  1. 1853.