Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consacrait alors toutes les ressources qui lui venaient de sa mère, et en 1847 encore, n’avait-elle pas versé à son (ils. en une année, 17 000 francs pour l’achat de livres curieux ? Mme Libri se lamentait de ces folles dépenses, et s’écriait à chacune d’elles : « Tu me ruines ! » mais ne résistait guère aux impétueuses convoitises de ce fils tant aimé. Chez lui, les livres « par milliers étaient accumulés à terre[1], » il y entassait les éditions rares de la Renaissance, les manuscrits du Moyen Age, les autographes au>si, et les reliures délicates, dont ses mains expertes savaient faire revivre les couleurs fanées et refleurir les ornements éteints.

En relations fréquentes avec les conservateurs des plus fameuses bibliothèques, ami des Panizzi et des Requien, Libri faisait, pour ses travaux, de fréquentes visites dans nos villes les plus riches de documents précieux. N’était-il pas secrétaire de la Commission de rédaction pour le catalogue des manuscrits de France, Commission que présidait Villemain ? En outre, ses communications à l’Institut, sa collaboration au Journal des Savants, l’obligeaient à faire dans ces bibliothèques de longues recherches ; souvent aussi de précieux manuscrits lui étaient envoyés en communication. Qu’arriva-t-il ? Cette bibliomanie dégénéra-t-elle chez le savant en kleptomanie ? Fut-il véritablement l’auteur des substitutions audacieuses dont on l’accusa dans les bibliothèques de Dijon, Lyon, Grenoble, Carpentras, Montpellier, Poitiers, Tours, Orléans[2] ? Ce membre de l’Institut déroba-t-il les œuvres de Théocrite et d’Hésiode[3], à Carpentras, les lettres de l’Arétin à Paul Manuce, à Montpellier, celles de Coligny à Jeanne d’Albret, à la Mazarine, l’Orlando Furioso, les lettres de Descartes, l’Hévélius, les feuillets de Léonard de Vinci, l’Homerus, les papiers de Bonaparte à Lyon, les cinq volumes in-folio contenant la correspondance de Peirese ? etc. La liste de ces délits serait trop longue à énumérer. Enfin Libri fut-il coupable ? Malgré les rapports des experts, l’accusation, le verdict lui-même, la situation de

  1. Réponse au rapport de M. Roucly.
  2. Léopold Delisle. Catalogue des fonds Libri et Barrois. Paris 1888, II. Champion.
  3. Dans la réponse à M. Roucly. Libri établit que le Théocrite avait été échangé par lui contre un nuire ouvrage. M. l’abbé Laurans, bibliothécaire de la Ville, avait négocié cet échange qui alors, paraît-il, ne pouvait étonner personne.