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adoré d’eux ; ses poches étant toujours pleines, à leur intention, de mousses de pierres étranges ou de bêtes : ils le dévalisaient !

Au souvenir de Mérimée, collaborateur de la Revue, se rattache un incident fameux : celui du procès Libri[1].

L’affaire éclata en 1848 et fit scandale. Mérimée, si réservé d’habitude et froid, prit hardiment parti pour Libri. Quant à F. Buloz, il soutint aussi son collaborateur de tout son pouvoir ; d’ailleurs, leur exemple fut suivi par Panizzi, Jubinal, Lacroix, T. Mamiani, Guizot. Paulin Paris, d’autres encore et non des moindres. L’affaire Libri ! Elle est demeurée troublante, malgré le temps écoulé, car elle a dépassé les limites d’une simple affaire judiciaire. Elle a divisé les partis, passionné le public lettré du temps, fait fuir Libri en Angleterre… et conduit Mérimée en prison.

Libri était Toscan. Il fit ses études à l’Université de Pise, et fut nommé à vingt ans à la chaire de physique-mathématiques de cette Université. Il vint à Paris en 1825, continua ses études scientifiques, et publia des mémoires remarqués dans les recueils des Sociétés savantes. « Admirablement doué, dit A. Filon, avec une énergie et une volonté indomptables, il possédait une mémoire digne d’un mezzo-fanti, ou d’un Pic de la Mirandole, une acutesse d’esprit qui le rendait propre aux problèmes des mathématiques, comme à ceux de l’érudition. C’est par la supériorité de son esprit qu’il avait gagné la bienveillance de M. Guizot, la sympathie de M. Buloz, l’amitié d’hommes comme Jubinal et Mérimée. » Naturalisé en 1833, Libri est nommé membre de l’Institut la même année ; l’année suivante, professeur de calcul des probabilités à la Faculté des Sciences, puis suppléant de M. Lacroix au Collège de France. Dès 1832, il devient collaborateur de la Revue des Deux Mondes ; son premier article est consacré aux sciences en Italie.

Au milieu de ses études, dont le champ était si vaste et si absorbant, Libri avait conservé la passion, la manie, la folie des livres. Cette passion, il l’avait contractée jeune homme, il y

  1. Sur Libri : Bibliographie de l’affaire Libri : M. Perret. Paris 1890. Léopold Delisle : Catalogue des fonds Libri et Barrois, — Paris Champion 1888. Notes sur Prosper Mérimée, Chambon. — Lettres aux Lagrenée. — Le Procès de M. Libri. P. Mérimée, Revue des Deux Mondes, 15 avril 1852.
    Réponse de M. Libri au rapport de M. Roucly, 1818, chez tous les libraires Paris. — Lettres à M. Hatton sur l’incroyable accusation intentée contre Libri par P. Lacioix-Paulin 1849. Les cent et une lettres bibliographiques. P. Lacroix, etc.